Les relations ambiguës Turquie-Union européenne
Bilan et perspectives
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Les relations entre la Turquie et l’Union européenne sont très anciennes puisqu’elles remontent à 1963, date de la signature de l’Accord d’Association entre les deux parties. Ayant vocation à être membre de l’Union européenne du fait qu’une partie de son territoire se trouve en Europe, la Turquie a déposé sa demande de candidature à l’Union en 1987. Elle accède à l’Union douanière le 1er Janvier 1996, ce qui lui a permis de développer ses échanges et ses investissements avec l’Europe. Au Sommet de Helsinki en Décembre 1999, elle acquiert le statut officiel de candidat à l’Union, alors que les négociations s’ouvrent en 2005. Les discussions ont commencé jusqu’en 2007, date du blocage des négociations par l’Allemagne et la France.
L’été 2015 l’Europe a reçu une grande vague de réfugiés majoritairement syriens, qui a conduit près d’un million d’entre eux à s’installer en Allemagne. Afin de limiter le nombre d’immigrés sur son sol, l’Union européenne a signé un accord le 18 Mars 2016 avec la Turquie qui s’est engagée à les garder sur son territoire, moyennant une aide financière de 6 milliards d’euros. En Juillet 2016, a eu lieu le coup d’Etat militaire qui voulait renverser le Président Erdo?an. Ce dernier après l’échec du complot a procédé à des purges et des emprisonnements arbitraires de grande envergure, tout en limitant la liberté de la presse et en prenant le contrôle de tous les médias. En Novembre 2016, le Parlement européen demande le gel des négociations d’adhésion avec la Turquie. En Août 2016, la Turquie a intervenu militairement en Syrie, officiellement pour rétablir la paix et lutter contre les terroristes, en fait pour empêcher les kurdes de constituer un Etat au Nord de la Syrie.
L’année 2017 a été marquée au mois de Mars par un référendum constitutionnel en Turquie pour accroître les pouvoirs du Président Erdo?an en transformant le régime parlementaire du pays en régime présidentiel. Le 27 Novembre 2019, le Président Erdo?an a signé avec Fayez el-Serraj Chef du gouvernement libyen d’union nationale un protocole d’accord de coopération renforcée en matière de sécurité, visant également à s’approprier des droits sur la zone maritime en Méditerranée orientale. Ce protocole d’accord fût suivi en Janvier 2020 d’envoi par la Turquie d’armes et de combattants en appui au Président el-Serraj. Le 10 Juillet 2020, le Président Erdo?an a annoncé l’ouverture de l’ex-basilique Sainte-Sophie à Istanbul aux prières musulmanes, après qu’un tribunal a retiré son statut de musée, ouvrant la voie à sa transformation en mosquée. Enfin en Août 2020, la Turquie a procédé à l’exploration d’hydrocarbures avec son navire de recherche Oruc Reis dans les eaux chypriotes et grecques. Devant ces événements, le Conseil européen du 20 Octobre 2020 a menacé de prendre des sanctions contre la Turquie et a considéré que les négociations d’adhésion avec la Turquie sont au point mort.
Afin d’apaiser la tension avec l’Union européenne, le Président Erdo?an a ouvert le 25 Janvier 2021 des pourparlers à Ankara avec les autorités grecques en vue de trouver une solution aux problèmes relatifs à la délimitation des zones maritimes en mer Egée. Ce qui ne l’a pas empêché de retirer le 19 Mars 2021 la Turquie de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Le Conseil européen des 25 et 26 Mars 2021 a pris des sanctions individuelles contre des responsables turcs. Tenant compte d’une situation économique mauvaise, et de la victoire du démocrate Biden à la présidence des Etats-Unis beaucoup moins conciliant avec la Turquie que Donald Trump, le Président Erdo?an a accepté une rencontre à Ankara le 6 Avril 2021 avec le Président du Conseil européen Charles Michel et la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen. Cette rencontre fût entachée par un problème du protocole dans la mesure où un siège n’a pas été prévu pour Madame Leyen.
En conclusion, les relations entre la Turquie et l’Union européenne sont loin d’être au beau fixe avec des griefs de part et d’autre. L’Union européenne reproche à la Turquie le non respect des droits de l’Homme et de la démocratie, la crise maritime avec Chypre et la Grèce, les atteintes à la laïcité, l’interventionnisme en Syrie, Libye et le Haut Karabagh. La Turquie de son côté reproche à l’Union européenne le retard de son adhésion à l’Union (34 ans depuis sa demande en 1987), la non-révision de l’Accord d’union douanière de 1995, la difficulté pour les ressortissants turcs d’obtenir des visas Schengen, et le non respect de l’Accord sur la migration sur le plan financier (La Turquie n’a reçu que 3,7 milliards d’euros sur les 6 milliards prévus). La politique du Président Erdo?an vis-à-vis de l’Union européenne s’explique par son appartenance au parti islamiste PJD, le caractère nationaliste et autoritaire de son régime. Il ne croit plus à la primauté de l’Occident et veut ériger la Turquie au rang des grandes puissances du monde actuel. Cependant, il n’y aura pas de rupture avec l’Union européenne car l’économie de la Turquie est tournée vers l’Europe (40% des échanges et 64% des IDE), et l’Union européenne ainsi que l’OTAN ont besoin de la Turquie sur le plan militaire et sur la gestion de la migration.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI