Elections présidentielles iraniennes
Une mascarade de démocratie
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Les élections présidentielles de la République islamique d’Iran ont eu lieu le Vendredi 18 Juin 2021. Elles ont été remportées par l’utlra-conservateur Ebrahim Raissi avec 61,95% voix. Malgré la prolongation du vote jusqu’à 2 heures du matin, le taux de participation n’a été que de 48,8%, soit le taux le plus bas depuis la proclamation de la République islamique en 1979.
Ce faible taux s’explique par de multiples raisons. Tout d’abord le candidat élu a bénéficié du soutien du Guide Suprême Ali Khamenei, qui dispose selon la Constitution iranienne de 1979 de pouvoirs très étendus. Ce dernier, Commandant en Chef des armées, détermine la politique générale du pays, arbitre les conflits entre pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et supervise l’exécution des politiques du régime. Il est désigné à vie par l’Assemblée des Experts qui est composée de 88 membres religieux élus pour 8 ans au suffrage universel direct. Un citoyen iranien a déclaré le jour des élections « Quelqu’un a déjà été élu, je garde le silence et reste à la maison ». Une autre explication à la faible participation des électeurs iraniens est le rôle joué par le Conseil des Gardiens de la Constitution. Composé de 12 membres pour un mandat de 6 ans : 6 religieux nommés par le Guide Suprême, et 6 juristes élus par le Parlement iranien sur proposition du pouvoir judiciaire dépendant du Guide. Parmi les attributions de ce conseil figure la validation des candidatures aux élections notamment présidentielles. Pour les élections présidentielles du 18 Juin 2021, ce Conseil a reçu 592 candidatures dont 40 femmes. Les critères de sélection des candidatures ne sont pas claires à part l’âge (entre 40 et 75 ans) et un minium d’études et d’expérience professionnelle et managériale. En tous cas, sur les 7 candidatures retenues, ont été écartés les femmes et les candidats réformateurs et modérés, et même les conservateurs pragmatiques. Ceci contrairement aux élections présidentielles de 2013 où le candidat réformateur Hassan Rohani a été élu et réélu en 2017. Devant cette situation, 3 candidats retenus se sont désistés, ne laissant finalement que 4 prétendants à la présidence iranienne. Ont certainement boudé ces élections les minorités religieuses (sunnites et kurdes), ainsi que les jeunes, les femmes, et les intellectuels de la classe moyenne qui n’attendent rien du candidat élu Ebrahim Raïssi.
Dans cette configuration d’un Guide suprême et d’un Président ultra-conservateur, à quelles perspectives pouvons-nous nous attendre en politique intérieure et extérieure ?
Il est à craindre que les conservateurs s’opposent à tout changement et reviennent sur la ligne dure en vigueur au début de la Révolution. Cela peut se traduire par des restrictions sur les libertés publiques et notamment la liberté d’expression. Le nouveau gouvernement aura-t-il la volonté de lutter efficacement contre la corruption ? Les catégories de la population les plus sensibles à ces questions dans la société iranienne sont les jeunes, les femmes et les intellectuels. La jeunesse iranienne vit une crise causée par les contraintes morales, le manque de perspectives d’avenir et le chômage. Elle réclame la liberté de choix vestimentaire notamment en ce qui concerne le port du voile pour les femmes. Elle souhaite également la liberté de rencontre entre sexes opposés dans les lieux publics, l’accès à la production culturelle et artistique du monde entier. Le mouvement féministe se réclamant de la laïcité sera-t-il toléré par les nouvelles autorités ? Qu’en sera-t-il de l’égalité des droits entre hommes et femmes ? Le philosophe iranien Abdul Karim Soroush développe une approche critique de l’Islam politique, distinguant une version de la religion qui n’a son mot à dire que dans la sphère du sacré, et une autre qui aurait son mot à dire sur tout, y compris la vie sociale et politique. Des contacts fréquents des opposants au régime ont lieu avec la diaspora iranienne pour l’informer de la situation réelle du pays.
Sur le plan extérieur, la politique étrangère de l’Iran après la proclamation de la République islamique en 1979, a tenté d’exporter sa révolution dans le monde musulman, notamment dans les pays à majorité ou minorité chiite. C’est le cas du Liban où elle a financé et armé le Hezbollah, au Yémen où elle a soutenu la rébellion Houtie, en Irak où elle a consolidé son influence après la chute de Saddam Hussein, enfin en Syrie lors du déclenchement de la guerre civile en 2011. Elle s’est efforcée aussi de développer des relations avec Bahreïn où existe une minorité chiite et avec Qatar pourtant membre du Conseil de Coopération du Golfe.
Son objectif est d’être reconnue comme une puissance régionale au Moyen-Orient en s’opposant à l’Arabie Saoudite qui est majorité sunnite, et aux Etats-Unis et Israël. Sa priorité aujourd’hui est de supprimer les sanctions américaines qui ont gravement détérioré son économie. En effet, après plusieurs années de négociations, elle est parvenue à signer en 2015 un Accord avec l’Allemagne, l’Union européenne et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Cet Accord a pour but de contrôler le programme nucléaire iranien par l’AIEA, en contrepartie de la levée des sanctions économiques. Cependant le 8 Mai 2018, Donald Trump a annoncé le retrait des Etats-Unis de l’Accord sur le nucléaire iranien, et a ordonné des sanctions d’un niveau plus élevé contre l’Iran. Cette décision du Président américain a renforcé le camp des conservateurs lors des élections du 18 Juin 2021. Il a été en effet reproché au Président réformateur Hassan Horani d’avoir échoué à lever les sanctions américaines. Après sa prise de fonctions en Janvier 2021, le nouveau Président américain Joe Biden est favorable à un retour des Etats-Unis à l’Accord sur le nucléaire iranien.
Des discussions sont actuellement en cours à Vienne, et le nouveau Président iranien Ebrahim Raïssi a appelé le 21 Juin 2021 à des négociations fructueuses sur ce dossier afin de produire des résultats concrets pour la nation iranienne. Alors que Hassan Rohani, le prédécesseur de Mr Raïssi avait opté pour une ouverture envers l’Occident, le nouveau président a refusé toute rencontre avec Mr Biden. Par contre, il a déclaré qu’il n’y a pas d’obstacles à la reprise des relations diplomatiques avec l’Arabie Saoudite. Il faut rappeler enfin que le Maroc a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran à deux reprises. Le 6 Mars 2019 du fait de l’ingérence de l’Iran dans les affaires intérieures de Bahreïn, et pour le prosélytisme chiite dans notre pays. La seconde rupture a eu lieu le 2 Mai 2018 jusqu’à nos jours du fait du soutien de l’Iran au Polisario à travers le Hezbollah libanais.
En conclusion, on ne peut que regretter que ce grand pays qu’est l’Iran par son histoire millénaire et sa culture multidimensionnelle, soit devenu à partir de 1979 une théocratie où le titulaire de la souveraineté est divin. Le Guide Suprême qui n’est pas élu par le peuple dispose à vie du pouvoir absolu sans avoir à rendre des comptes à quiconque. Un grand nombre de régimes politiques se sont succédés dans l’histoire iranienne. On peut rappeler la Révolution constitutionnelle persane contre le règne despotique des Chahs Qadjas qui commença en 1905 et dura jusqu’à 1911, et qui eut pour conséquence la fondation du premier Parlement en Iran. Aussi, il ne faut pas désespérer de l’instauration en Iran dans un avenir plus ou moins proche d’une véritable démocrate avec la souveraineté du peuple, les élections ouvertes à tous, la séparation des pouvoirs, les libertés publiques, et le respect des droits de l’homme.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI