Rencontre avec Jawad Kerdoudi : Une époque troublée pour la diplomatie religieuse
\"Il s\'avère très difficile de résoudre les problèmes dans un monde qui connaît une fracture entre l\'Occident et le monde musulman\", a expliqué l\'analyste marocain Jawad Kerdoudi, cette semaine à Fez.
Entretien par Siham Ali pour Magharebia à Fez – 10/12/10
Plus de soixante universitaires, responsables politiques, diplomates, autorités, journalistes et acteurs de la société civile internationaux se sont réunis cette semaine à Fez, la capitale spirituelle du Maroc, pour étudier comment la diplomatie religieuse et culturelle peut favoriser la paix et la tolérance dans le monde.
Le 4ème Forum sur l'Alliance des Civilisations et la diversité culturelle, qui s'est achevé lundi 6 décembre, a visé à renforcer le dialogue interculturel et à dépasser les incompréhensions mutuelles entre l'Occident et le monde musulman.
Jawad Kerdoudi, président de l'Institut marocain des relations internationales (IMRI), s'est exprimé lors de ce rassemblement international organisé par le Centre marocain interdisciplinaire d'études stratégiques et internationales (CMIESI). Magharebia l'a rencontré lors de ce forum de trois jours pour un entretien très franc sur la diplomatie et la paix, les relations algéro-marocaines, la perception de l'Islam au sein des nations occidentales, les pirates somaliens, et d'autres sujets encore.
Magharebia : Que peut faire la diplomatie religieuse pour promouvoir le dialogue et la tolérance entre les cultures ?
Jawad Kerdoudi : Il convient en premier lieu d'en définir les deux aspects. La diplomatie religieuse consiste à faire un effort, à l'instar du travail consenti par l'Arabie Saoudite, pour organiser des conférences internationales destinées à rassembler les religions. La diplomatie culturelle concerne, elle, tous les aspects de la promotion du dialogue interculturel par le biais de rencontres culturelles, d'expositions, de conférences, etc.
Magharebia : Ces deux approches ont-elles la même efficacité ?
Kerdoudi : Toutes deux poursuivent le même objectif : tenter de rapprocher les cultures et les religions, notamment à une époque comme la nôtre marquée par de fortes turbulences internationales. Je dois dire que je reste encore très prudent sur l'impact réel de la diplomatie culturelle et religieuse et la manière dont elle peut contribuer à résoudre les grands problèmes que connaît notre monde. Je ne pense pas qu'il faille surestimer la question. C'est avant tout la position adoptée par les Etats qui fera avancer les choses.
La diplomatie culturelle et religieuse a certainement un rôle important à jouer, bien qu'il s'avère très difficile de résoudre les problèmes dans un monde où il existe une fracture entre l'Occident et le monde musulman.
Magharebia : Que peut-il donc être fait pour changer la vision de l'Islam en Occident ?
Kerdoudi : Vous avez raison de poser cette question, qui revêt une importance majeure. Il convient d'être objectif. Depuis les attentats de 2001 aux Etats-Unis, et les attentats de Londres et de Madrid, une image négative des Musulmans s'est implantée dans l'esprit des Européens et des Américains, qui s'efforcent de comprendre comment des extrémistes ont pu s'en prendre à des civils. En conséquence, nous avons vu quelques réactions législatives comme l'interdiction du port de la burqa ou de la construction de minarets.
Comment pouvons-nous changer une telle situation ? Je crois que nous devons en premier lieu mettre un terme aux activités terroristes. Les pays modérés doivent systématiquement condamner ces actes de terrorisme. Actuellement, il apparaît souvent que certains pays ne le font pas, parce qu'ils comptent des partis extrémistes dans leurs rangs.
Nous devons également faire un effort supplémentaire pour mieux sensibiliser par les médias. D'une part, nous n'entendons pas suffisamment parler de cette question dans les médias arabes et musulmans. Et d'autre part, des efforts doivent être faits dans les médias internationaux pour montrer qu'ils ne se contentent pas simplement de diffuser des informations négatives, mais qu'ils s'attachent également à faire ressortir les aspects positifs. Les organisations arabes et islamiques ont un grand rôle à jouer à cet égard.
Les autorités doivent également travailler à supprimer les vecteurs de l'extrémisme, comme l'ignorance. Nous avons besoin d'un développement plus soutenu de l'éducation, de lutter contre l'illétrisme et de consentir de gros efforts pour développer l'économie. Les extrémistes se recrutent dans les quartiers les plus pauvres, là où l'on enregistre les taux d'illétrisme les plus élevés.
Magharebia : Comment la diplomatie religieuse peut-elle aider à changer l'image de l'Islam ?
Kerdoudi : Un travail important doit être fait pour mieux sensibiliser aux valeurs de l'Islam et du Coran, notamment la paix et la tolérance. Il faut absolument montrer le côté pacifique de l'Islam. Il faut dire que le citoyen moyen européen ou américain ne connaît pas ces valeurs et confond Islam et terrorisme. Nous devons donc viser directement le citoyen occidental de la rue.
Magharebia : Qu'en est-il des immigrants musulmans vivant en Occident ?
Kerdoudi : Les immigrants, qui sont des millions dans les pays d'accueil occidentaux, portent une lourde responsabilité. Ils doivent donner l'exemple en ne commettant aucun délit. Ils doivent en fait être plus prudents que les ressortissants des pays dans lesquels ils vivent. Outre le fait de vivre d'une manière exemplaire, ils doivent se hisser dans l'échelle sociale et ne pas se contenter de rester parmi les catégories sociales les plus basses.
Au Maroc, pendant longtemps, la majorité des immigrants étaient illétrés, mais la situation a aujourd'hui changé. Nous assistons à une immigration d'intellectuels et de diplômés, qui ont un grand rôle à jouer pour expliquer les choses. Malheureusement, certains changent leur nom de manière à passer inaperçus, alors qu'ils devraient montrer le bon exemple et changer l'image des citoyens venus des pays arabo-musulmans.
Magharebia : Que peuvent faire les jeunes Arabes et Musulmans pour aider à changer cette mauvaise perception ?
Kerdoudi : Les jeunes doivent être éduqués et élevés pour prêcher des valeurs de paix et de tolérance. Le contenu de l'enseignement des programmes scolaires doit être revu. Les attitudes se forgent dès l'enfance. A l'école comme à la maison, un effort doit être fait pour instiller les valeurs de paix et de respect des autres, même s'ils sont différents. Nous devons éviter les commentaires négatifs sur les étrangers.
Les enfants peuvent parfois ne rien dire. Mais ils écoutent et se fondent sur la vision des adultes.
Magharebia : Sur une note différente, comment décririez-vous la coopération au Maghreb en matière de lutte contre le terrorisme ?
Kerdoudi : Le problème maroco-algérien entrave la coopération dans ce domaine. Les problèmes politiques mettent un frein au développement dans les pays du Maghreb. Même au niveau de la sécurité, il n'y a aucune coopération entre le Maroc et l'Algérie.
Nous devons nous unir. La lutte contre le terrorisme se fait au travers de l'information. Les services d'information doivent mettre en garde contre les attentats avant qu'ils ne soient commis. Un partenariat existe au niveau régional en matière d'échange de renseignements, mais il pourrait être plus efficace avec des rencontres plus fréquentes.
Magharebia : Pensez-vous que l'affaire du Hannibal II, ce cargo tunisien détourné par des pirates somaliens, souligne la nécessité d'une plus grande coopération au niveau régional ?
Kerdoudi : Le problème du sous-développement est une complication supplémentaire. Actuellement, il est impossible de parler d'un Etat somalien, mais plutôt d'une collection de gangs. Ces gangs essaient de gagner de l'argent, notamment par des moyens criminels, en détournant des bateaux quelle que soit leur origine et en exigeant des rançons.
Si les hommes ne sont pas correctement aidés et guidés, ils peuvent devenir comme des animaux qui ignorent les lois.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI