Candidature de Bouteflika aux présidentielles
Un système politique sclérosé
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI « Institut Marocain des Relations Internationales »
Elu en 1999, et réélu en 2004, le Président Bouteflika a annoncé le 12 Février 2009 sa candidature aux élections présidentielles algériennes du 9 Avril 2009. Il a fallu pour cela modifier la Constitution algérienne qui fixe à deux mandats consécutifs l’exercice de la présidence de la république. Ce fût fait par le Parlement algérien par un vote à main levée le 12 Novembre 2008.
On peut se poser la question pourquoi après deux mandats consécutifs, Bouteflika a de nouveau annoncé sa candidature après avoir modifié la Constitution. La réponse est que le système politique algérien est sclérosé. Pour expliquer cela, il faut revenir rapidement à l’histoire de l’Algérie depuis son indépendance acquise le 5 Juillet 1962. Après la guerre d’indépendance contre la colonisation française, où le valeureux peuple algérien a mené un combat courageux et coûteux en vies humaines, les deux premiers gouvernements algériens furent présidés par des civils : Ferhat Abbas et Ahmed Ben Bella. A partir du coup d’Etat en 1965 de Houari Boumedienne, le pouvoir en Algérie fût confisqué par les militaires. Ces derniers exercèrent sans discontinuité l’exercice du pouvoir, soit directement, soit en faisant élire des civils à leur solde. Ce scénario s’est répété jusqu’en 1991, où le mouvement islamiste FIS (Front Islamique du Salut) remporta le premier tour des élections législatives. Les militaires supprimèrent le second tour en Décembre 1991, créèrent le HCE (Haut Comité d’Etat) et firent appel au malheureux Ahmed Boudiaf, alors en exil au Maroc, qui fût assassiné six mois après sa prise de fonctions. Entre temps, une affreuse guerre civile, initiée par les islamistes, fût déclenchée, qui fit 200.000 victimes, et devait durer une décennie jusqu’en 2002 après la défaite du GIA (Groupe Islamiste Armé). Le HCE fût présidé par la suite par Ali Kafi ; et Liamine Zeroual un militaire, remporta les élections présidentielles du 16 Novembre 1995. Abdelaziz Bouteflika devait à son tour remporter les élections présidentielles de 1999 et 2004, soutenu par l’armée et le FLN (Front de Libération National).
Certes en 1995, et suite au contrat de Rome, dit de San Egidio, le pluralisme politique fût rétabli en Algérie. C’est ainsi que les premières élections législatives pluralistes eurent lieu en 1997. Le champ politique algérien actuel est composé de vingt et un partis politiques officiellement reconnus. La majorité présidentielle issue des élections législatives de 2007 est composée du FLN (l’ancien parti unique national) du RND (Rassemblement National Démocratique de tendance libérale) et du MSP (Mouvement de la société pour la paix de tendance islamiste modérée). Cette majorité dispose de 249 sièges sur un total de 389 à l’Assemblée populaire nationale. Du fait du morcellement du champ politique algérien, et du boycott des élections par certains partis tels que le FFS (Front des Forces Socialistes) et UDL (Union pour la Démocratie et les Libertés), les autres partis politiques n’ont obtenu que très peu de sièges. A celà, il faut ajouter le manque de mobilisation des électeurs algériens : ils n’ont été qu’un tiers à voter pour les dernières élections législatives de 2007. Les partis politiques minoritaires n’ont pas les moyens de recruter plus de membres, du fait que les médias audio-visuels sont entièrement entre les mains du pouvoir en place, et que la presse d’opposition est muselée. C’est ainsi que le journaliste algérien Mohamed Benchicou a été arrêté et emprisonné en 2004 pour ses écrits contre le régime. L’armée algérienne continue également à jouer dans l’ombre un rôle dans la vie politique, et à tirer les ficelles pour les candidats qui ont sa faveur. Toutes ces raisons expliquent que Bouteflika est quasiment sûr de remporter encore une fois les prochaines élections présidentielles d’Avril 2009, étant donné qu’aucun candidat sérieux ne s’est déclaré jusqu’a maintenant, et qu’il va utiliser tous les moyens de l’Etat pour mener sa campagne électorale.
Le bilan du Président Bouteflika durant la décennie 1999-2009 est mitigé. Sur le plan intérieur, il s’est attaché à rétablir la paix dans son pays, en procédant à un référendum en 1999 sur la Concorde civile, et en 2005 en promulguant la Charte pour la paix et la réconciliation. Des progrès certains ont été réalisés, mais les attentats continuent de la part du GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat) après son allégeance à Al Qaida en 2006. Bouteflika a tenté également d’amoindrir dans une certaines mesure l’influence de l’armée algérienne sur la politique, en mettant à la retraite certains hauts gradés. A son passif, il faut signaler la répression sanglante des événements en Kabylie en 2001 et 2002, et la mesure démagogique consistant à fermer en 2006 les établissements d’enseignement francophone. Sur le plan économique, l’Algérie a bénéficié à partir de 1999 d’une conjoncture très favorable du fait de la hausse des prix des hydrocarbures. Bouteflika a lancé un programme ambitieux de 150 milliards de $, visant la construction d’un million de logements, d’une autoroute est-ouest, et de grands travaux d’infrastructures. Cependant, peu de mesures ont été prises pour encourager le secteur privé, et malgré tous les efforts l’Algérie demeure un pays riche mais un peuple pauvre.
Sur le plan extérieur, Bouteflika a tenté de réhabiliter le rôle de l’Algérie dans le concert des nations. Il s’est beaucoup orienté sur l’Afrique en participant au lancement du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique), et en jouant un rôle de médiateur dans le conflit entre l’Erythrée et l’Ethiopie. Il a amélioré les relations de l’Algérie avec les Etats-Unis, après les attentas du 11 Septembre 2001, en s’engageant dans un lutte anti-terroriste active. Il a organisée la visite de Jacques Chirac en Algérie en 2003, qui devait aboutir à la signature avortée d’un Traité d’Amitié entre les deux pays. Le côté négatif de sa politique extérieure a été l’acharnement à soutenir le mouvement séparatiste dans la question du Sahara, entrainant des relations tendues avec son voisin le Maroc, et empêchant tout progrès dans l’édification du Maghreb. Malgré plusieurs appels du Maroc, Bouteflika s’est toujours refusé à ouvrir la frontière terrestre algéro-marocaine. Ce comportement s’est accompagné d’une course aux armements, qui ont absorbé 3,8 milliards de $ en 2006, soit 3,3% du budget de l’Etat algérien. Ce comportement néfaste pour toute l’Afrique du Nord s’explique par son passé d’ancien ministre des Affaires Etrangères de Boumedienne, voulant donner à l’Algérie un rôle de leadership dans la région, épousant les thèses tiers-mondistes qui ne sont plus d’actualité. La preuve en est, qu’il entretient encore des relations privilégiées avec Cuba de Raoul Castro, l’Iran d’Ahmedinejad, et le Venezuela d’Hugo Chavez.
Qu’attendre de Bouteflika s’il est réélu en Avril 2009 ? Lors de l’annonce de sa candidature, il a défini trois priorités : la politique de réconciliation, la poursuite de réforme de la gouvernance, l’accentuation de l’effort de développement économique et social. Sur le plan de la politique extérieure, il n’a rien dit, et il est quasi-certain qu’il va continuer la politique qu’il a mené lors de ses deux premiers mandats. Aussi, il ne faut malheureusement s’attendre à aucun changement dans sa position vis-à-vis de la question du Sahara, à moins qu’un événement imprévu et extraordinaire se produise pendant les cinq prochaines années.
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