Le Sommet pour la démocratie
Quelle évaluation ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Commençons d’abord par définir la démocratie libérale. C’est un système politique où la souveraineté émane du peuple, où existe la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire), où les élections se font au suffrage universel, où les libertés publiques sont garanties, où les droits humains sont respectés, où la corruption est absente.
Lors de sa campagne électorale en 2020, Joe Biden avait fait la promesse de réunir les pays démocratiques pour contrer les régimes autoritaires. Il a tenu sa promesse, et a organisé sous un format virtuel à cause de la pandémie du Covid-19, un Sommet groupant 110 pays les 9 et 10 Décembre 2021. La première difficulté des organisateurs a été de sélectionner les pays qui seront invités au Sommet, ainsi que les groupes privés et les représentants de la société civile. Les critères de sélection n’ont pas été divulgués. N’ont pas été invités la Chine, la Russie, la Birmanie, la Corée du Nord et le Bangladesh, mais aussi la Hongrie et la Turquie, les trois pays d’Afrique du Nord dont le Maroc. Ont été invités les pays occidentaux européens, quatorze pays africains subsahariens, le Brésil, la Pologne, le Pakistan, l’Inde, les Philippines et Taïwan.
Cette sélection arbitraire des pays démocratiques a suscité des critiques par les pays non invités. Tout d’abord les Ambassadeurs chinois et russe accrédites à Washington, dans une lettre adressée à la Maison blanche, se sont demandés de quel droit les Etats-Unis s’autorisent à définir qui est un pays démocratique, et qui ne l’est pas. Ils considèrent que cette sélection rappelle la mentalité de la guerre froide. Ils ajoutent qu’il n’y a pas un modèle unique de la démocratie, et que le régime de Pékin est assis sur les réalités chinoises, et le régime de Moscou est basé sur les traditions russes. La Chine a condamné vivement l’invitation de Taïwan qu’elle considère comme une Province chinoise. Sur le génocide des Ouighours, la Chine répond qu’ils sont regroupés pour suivre des formations professionnelles. Enfin, la Chine a très mal apprécié le boycott diplomatique des jeux d’hiver de Pékin en 2022 par les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, et le Royaume Uni, arguant qu’il faut séparer les sports de la politique. Des observateurs n’ont pas compris l’invitation du Brésil, de la Pologne, du Pakistan et des Philippines qui ne brillent pas par la démocratie. La Russie de son côté considère que ce Sommet organisé par le Président Biden est « un instrument pour atteindre des objectifs géopolitiques et pour défendre les intérêts stratégiques des Etats-Unis ». D’ailleurs l’ONG « Freedom House » considère qu’un tiers des pays invités par le Sommet ne sont pas démocratiques.
Une autre critique contre ce Sommet considère que les Etats-Unis n’ont pas donné l’image d’un pays démocratique sous la présidence de Donald Trump. Ce dernier admirait les régimes forts préconisant la démocratie illibérale, s’attaquait à la justice et aux médias, et n’a pas reconnu la victoire de Joe Biden. D’ailleurs ce dernier a déclaré que les Etats-Unis doivent « combattre sans relâche pour être à la hauteur des idéaux démocratiques ». De son côté Janet Yellen, la Secrétaire d’Etat au Trésor a déclaré « Les Etats-Unis sont le meilleur endroit pour cacher et blanchir des gains acquis frauduleusement ». Dans certains Etats américains gouvernés par des Républicains, des actions anti-démocratiques ont été commises : purge des listes électorales, obstacles au vote des minorités, charcutage électoral. Enfin la plus grande attaque contre la démocratie américaine a été sur l’instigation de Donald Trump l’assaut le 6 janvier 2021 du Capitole par ses partisans.
L’objet de ce Sommet est la prise d’engagements par les pays invités pour le renforcement de la démocratie, le respect des droits humains, et la lutte contre la corruption. Cette dernière a été qualifiée comme « un cancer dans le corps de la société, une maladie qui consomme la confiance publique et la capacité des gouvernements à obtenir des résultats pour les citoyens ». Le Sommet a également décidé la lutte contre l’évasion fiscale et l’enrichissement illicite. Les engagements pris par ce Sommet seront examinés lors d’une session en présentiel en 2022. Aux craintes de la France que ce Sommet constitue un front commun contre la Chine, le Président Biden a répondu que le but de Sommet n’est pas de créer un bloc dans le cadre d’une nouvelle guerre froide, mais un moyen de renforcer la démocratie.
En conclusion, il est vrai que durant ces dernières décennies la démocratie est en recul, attaquée et affaiblie. En justifiant par les crises notamment économiques, migratoires et sanitaires, les gouvernements ont grignoté les libertés des citoyens, et réduit les pouvoirs des Parlements au niveau législatif. L’extrémisme s’est beaucoup développé et une partie de la population y adhère, à l’image de la campagne de Eric Zemmour en France. Aussi l’initiative du Président Biden est pleinement justifiée, mais le format et le timing ne sont pas adéquats. Il aurait mieux valu attendre l’année 2022 pour un Sommet en présentiel qui aurait permis plus d’interactivité entre les participants. Il faut réfléchir à un autre système de sélection des participants pour éviter les critiques.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI