La guerre d’Ukraine
Bilan et perspectives après un mois de combats
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le 24 Février 2022, la Russie a envahi l’Ukraine en qualifiant l’invasion « d’opération spéciale ». Le but de cette guerre selon le Président Poutine est de « Démilitariser et dénazifier l’Ukraine ». Or l’Ukraine est un Etat souverain, et les nazis ne représentent qu’une infime minorité de la scène politique ukrainienne.
Bien qu’il soit difficile d’obtenir des chiffres fiables, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué des pertes humaines et matérielles considérables. Selon les autorités ukrainiennes 3.000 civils ont perdu la vie après un mois de guerre, ainsi que 1.300 soldats tués et 2870 blessés. Les pertes russes sont estimées par l’OTAN entre 7000 à 15.000 soldats tués soit environ 10% des effectifs engagés. Le nombre d’Ukrainiens qui ont quitté leurs foyers est estimé à 10 millions, dont 3,6 millions ont fui à l’étranger, notamment en Pologne où ils sont à plus de 2 millions. Les femmes et les enfants représentent 90% des réfugiés à l’étranger, alors que le nombre d’enfants déplacés est estimé à 4,3 millions soit 50% de la population enfantine. Ce bilan macabre a été accompagné par la destruction d’un grand nombre de matériels militaires, d’infrastructures, et de bâtiments civils. A titre d’exemple, la ville de Marioupol a été totalement détruite, alors que 100.000 personnes y sont piégées sans nourriture, sans eau, et sans médicaments.
Après un mois de combats l’armée russe est surtout présente au Sud-Est de l’Ukraine à travers le Donbass et la Crimée, et au Nord-Est à partir de la Biélorussie. Seule la ville de Kherson est totalement conquise, alors que Kharkiv, Marioupol et Odessa sont encerclées. Les tentatives de l’armée russe de prendre la capitale Kiev n’ont pas abouties, alors même qu’elle a été obligée de reculer de 30 km à l’est de la ville. Sur d’autres fronts de guerre, l’armée russe a pris une position défensive en creusant des tranchées. Enfin le 26 Mars 2022, l’Adjoint au Chef d’Etat-majeur russe a annoncé que l’armée russe allait se concentrer dorénavant sur le Donbass à l’Est de l’Ukraine. Il faut dire que la Russie n’avait pas prévu la résistance héroïque de l’Ukraine, civils et militaires, galvanisée par le Président Volodymyr Zelensky qui s’est avéré un excellent communicateur.
L’OTAN, alliance militaire qui regroupe trente membres, dont les Etats-Unis et plusieurs pays européens, n’a pas décidé d’intervenir directement en Ukraine, afin d’éviter un conflit nucléaire avec la Russie. Par contre, elle a pris un grand nombre de sanctions économiques contre la Russie, à la fois visant des responsables individuels, ainsi que des entreprises et des institutions telles que la Banque centrale de Russie. Elle a en outre fourni des armes en grand nombre à l’Ukraine, notamment les missiles anti-chars, mais pas d’avions de combat pour le moment. Le 24 Mars 2022, un Sommet de l’OTAN, du G7, et de l’Union européenne, a été convoqué à Bruxelles pour examiner la réponse à la guerre d’Ukraine en présence du Président américain Joe Biden. Le but de ce Sommet est de consolider les sanctions contre la Russie, et de mettre en œuvre un mécanisme de suivi. Il a également été décidé de renforcer la position militaire de l’OTAN en Europe de l’Est en installant 4 nouveaux groupements militaires tactiques en Bulgarie, Roumanie, Hongrie et Slovaquie. Emmanuel Macron qui préside actuellement le Conseil de l’Union européenne a proposé un plan d’urgence pour la sécurité alimentaire afin d’éviter le risque de famine dans certains pays en développement.
Le Président Biden a prolongé son séjour en Europe en se rendant le 26 Mars 2022 en Pologne, où il a tenu une réunion avec le président polonais et deux ministres ukrainiens des affaires étrangères et de la défense. Il a souligné lors de cette réunion l’engagement indéfectible des Etats-Unis envers la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Il a confirmé l’article 5 de l’Alliance atlantique qui prévoit l’intervention militaire de l’OTAN si un de ses membres est attaqué en disant « Ne pensez même pas à avancer d’un centimètre en territoire de l’OTAN ». Il a qualifié la guerre d’Ukraine comme un échec stratégique de la Russie. Il a ajouté que « le peuple russe n’est pas notre ennemi ». Par contre il a été qualifié Poutine de boucher, criminel de guerre, et a ajouté « Pour l’amour de Dieu cet homme ne peut pas rester au pouvoir ».
Avant d’aborder les perspectives de cette guerre d’Ukraine, analysons les causes de son déclenchement. L’Ukraine a proclamé son indépendance le 24 Août 1991 après la chute de l’URSS. Auparavant le 9 Février 1990, le Secrétaire d’Etat américain James Baker avait pris l’engagement oral auprès Mr Gorbachev de ne pas élargir l’OTAN aux anciennes républiques satellites de l’URSS. Cet engagement n’a pas été respecté puisqu’en 1999 la Pologne, la Hongrie et la République tchèque rejoignent l’OTAN. Ils ont été suivis en 2004 et 2007 par sept pays d’Europe centrale et orientale et riverains de la Baltique. Lors du Sommet de l’OTAN en 2008 à Bucarest, l’Ukraine avait demandé son adhésion à l’OTAN qui a été refusée par la France et l’Allemagne. En 2019 après sa défaite aux élections présidentielles, Petro Porochenko a prié son successeur Volodymyr Zelensky de renouveler la demande d’adhésion de l’Ukraine au Sommet de l’OTAN à Londres qui s’est tenu en Décembre. Après la Révolution démocratique en Février 2014, l’Ukraine aspira à entrer dans l’Union européenne. Le Président Poutine annexa alors la Crimée, et encouragea le soulèvement puis l’autonomie de la région russophone du Donbass. Le 18 Mars 2014 en parlant de l’OTAN il a déclaré « Ils nous ont menti à plusieurs reprises, ils ont pris des décisions dans notre dos, ils nous ont mis devant le fait accompli ». Il s’opposa fermement à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN craignant un encerclement de la Russie par les forces occidentales.
L’OTAN a donc une responsabilité dans le déclenchement de la guerre d’Ukraine, puisqu’elle n’a pas mesuré la détermination de Poutine à s’opposer par tous les moyens à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. C’est ce qui explique que la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 2 Décembre 2022 exigeant que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine, n’a pas été votée à l’unanimité : 141 oui, 35 abstentions, 12 non participation au vote, et 5 nons. Cependant l’invasion de l’Ukraine par la Russie est contraire au droit international, et rien ne justifie les atrocités commises par l’armée russe notamment vis-à-vis des civils dans la guerre en cours. Le Président Biden a commis deux maladresses : le fait qu’il a déclaré avant le déclenchement de la guerre que les Etats-Unis n’enverront pas un soldat en Ukraine, ce qui a encouragé Poutine à envahir l’Ukraine. La seconde en Pologne a été de souhaiter un changement de régime en Russie, ce qui est une intrusion dans la politique intérieure de ce dernier pays. D’ailleurs le Président Macron n’a pas adhéré au souhait de Biden de changement de régime en Russie. Il a maintenu à juste titre une relation suivie avec Poutine dans le but de négocier avec lui les conditions de la fin de la guerre d’Ukraine.
En conclusion, et quoiqu’il est très difficile de prévoir l’avenir de cette guerre, du fait de la conduite imprévisible de Poutine, on peut imaginer trois scénarios. Le premier qui est le plus plausible, est l’ouverture des négociations pour l’obtention d’un cessez-le-feu et le repli de l’armée russe. La contrepartie serait la reconnaissance de la souveraineté russe sur la Crimée et le Donbass, et la neutralité de l’Ukraine. Le second scénario aurait consisté à conquérir toute l’Ukraine avec un changement de son président. On peut penser que c’était le plan de départ de Poutine, mais qui n’a pas réussi du fait de la résistance héroïque de l’armée et du peuple ukrainien. Le troisième scénario qui est aussi très peu probable est l’entrée de l’armée russe dans un des pays de l’Europe de l’Est membre de l’OTAN, comme la Pologne ou les pays Baltes, ce qui entraînerait une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie, et donc une troisième guerre mondiale. Enfin regrettons que l’ONU, dont le rôle principal est le maintien de la paix dans le monde, n’a pas pu empêcher le déclenchement de cette guerre d’Ukraine extrêmement meurtrière. D’où la nécessité de la réformer, notamment le fonctionnement du Conseil de sécurité qui donne droit aux cinq membres permanents de la bloquer toute résolution.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI