Table ronde sur le Dialogue Méditerranéen de l’OTAN
(Alicante 12 Mai 2022)
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
1. Quels sont les défis du Sud de la Méditerranée ?
Rappelons tout d’abord que le Dialogue méditerranéen a été lancé par l’OTAN en Décembre 1994. Il a pour objectifs de contribuer à la sécurité et à la stabilité de la région méditerranéenne, d’instaurer une meilleure compréhension mutuelle, et de dissiper dans les pays partenaires les idées fausses au sujet de l’OTAN. Le Maroc a adhéré au Partenariat Méditerranéen de l’OTAN (PMO) dès 1995. Ce partenariat intègre également l’Algérie, l’Egypte, la Jordanie, la Tunisie, Israël, et la Mauritanie. Lors d’une visite de journalistes marocains au siège de l’OTAN à Bruxelles, la porte-parole de l’OTAN Ona Lungescu à qualifié le Maroc « de partenaire stratégique majeur de l’OTAN et une force motrice au sein du Dialogue Méditerranéen\".
Le flanc sud de la Méditerranée comprenant l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient est confronté à plusieurs défis. En Afrique du Nord, la Libye suite à la chute du régime de Kadhafi vit une situation politique et économique instable, avec deux gouvernements et deux parlements. La Syrie est partiellement détruite suite au Printemps arabe, et le Liban vit également une situation politique et économique très difficile. Le conflit Israélo-Palestinien n’est toujours pas réglé, Israël refusant la création d’un Etat palestinien viable. La région est en outre confrontée notamment au Sahel au terrorisme, la prolifération des armes, l’immigration clandestine, la pénurie des ressources énergétiques, le crime organisé, le trafic de drogues. Suite à la guerre d’Ukraine, la région est également soumise à une hausse vertigineuse des prix de l’énergie et des produits alimentaires.
2. Que doit faire l’OTAN pour faire face à ces défis ?
L’OTAN est perçue dans les pays Sud-méditerranéens comme une organisation militaire, qui peut apporter son aide sur le plan sécuritaire. Chaque année des réunions bilatérales et multilatérales ont lieu entre l’OTAN et ses partenaires. Ces discussions sont l’occasion de procéder à un échange de vues et de renseignements sur les questions de sécurité liées à la région, et les moyens d’élargir les dimensions politiques et pratiques pour y faire face. La coopération pratique est à double sens : chacune des parties profite de l’expérience et de l’expertise de l’autre. La formation, l’entrainement, et les exercices militaires communs, représentent la majeure partie de la coopération entre l’OTAN et ses partenaires. Les activités peuvent être variées : réforme du secteur de la sécurité, renforcement des capacités d’interopérabilité, résilience face aux menaces, lutte contre le terrorisme, sûreté maritime. Elles peuvent aussi concerner la cyberdéfense, la protection des infrastructures, ou encore la préparation du secteur civil. Les activités sont sélectionnées selon les besoins de l’OTAN et de ses partenaires. Au total plus d’un millier d’activités sont proposées aux pays de l’OTAN et ses partenaires.
3. Comment les partenaires régionaux et les décideurs perçoivent la présence grandissante de la Russie et de la Chine ?
Du fait de ses richesses minières et du développement démographique notamment en Afrique, la région Mena attire la convoitise des grandes puissances. La Chine est surtout intéressée par les matières premières pour développer son industrie manufacturière, et d’un marché pour vendre ses produits. La Chine répond aux Appels d’offres lancés par les pays de la région Mena à un prix réduit et des conditions financières avantageuses, et aussi des dons (siège de l’UA à Addis Abeba). La Russie veut également se tailler une part du marché, mais aussi pour accroitre son influence sur la scène internationale. Elle utilise aussi des mercenaires du Groupe Wagner comme actuellement en Mali. La Russie s’est introduite en Syrie après le renoncement par Barack Obama d’attaquer le régime syrien qui avait utilisé des armes chimique (Elle dispose d’une base militaire à Tartous). Pour contrecarrer la Chine et la Russie, l’OTAN doit intensifier la protection militaire des pays de la région Mena et multiplier les investissements et les dons.
4. Comment est perçue la guerre d’Ukraine dans la région ?
Les pays de la Méditerranée sont très divisés concernant la guerre d’Ukraine. On peut le remarquer lors du vote de l’Assemblée générale de l’ONU du 2 Mars 2022. Ont condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie pratiquement tous les pays du Moyen-Orient, sauf la Syrie qui a voté contre, et l’Iran et l’Irak qui se sont abstenus. Pour ce qui est de l’Afrique du Nord : la Libye, la Mauritanie et la Tunisie ont voté pour, tandis que l’Algérie s’est abstenue, et le Maroc n’a pas participé au vote. A noter que 15 pays de l’Afrique subsaharienne se sont abstenus. Ce vote résulte pour la Syrie de l’intervention russe qui a sauvé le régime de Bachar Al Assad. Les pays du Moyen-Orient ont voté pour la résolution afin de continuer à bénéficier de la protection militaire des Etats-Unis et de l’Europe, notamment les pays du Golfe. Les pays de l’Afrique du Nord ont voté pour la résolution sauf l’Algérie qui s’est abstenue pour ne pas mécontenter l’OTAN, et le Maroc qui n’a pas participé au vote pour affirmer sa neutralité vis-à-vis de la guerre de l’Ukraine. Ce vote montre aussi une certaine défiance des pays de la Région Mena vis-à-vis de l’Occident.
5. Comment la guerre d’Ukraine peut intervenir dans la sécurité et la dynamique géopolitique de la région Mena ?
Les pays de la région Mena ont pris conscience que leur sécurité n’est pas acquise dans le monde où nous vivons actuellement. Certains pays vont renforcer leur partenariat avec l’OTAN afin de consolider leur propre armée, et contrer une éventuelle menace russe. D’autres ont préféré une certaine neutralité pour maintenir de bonnes relations aussi bien avec l’OTAN qu’avec la Russie.
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