L’approvisionnement en blé de l’Afrique
Pour un déblocage des ports ukrainiens
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le blé qui sert à fabriquer le pain est un élément essentiel dans la nourriture humaine, surtout pour les pays pauvres ou en voie de développement. La production mondiale en 2020 a été de 761 millions de tonnes. Cinq pays produisent plus de 64% de la production mondiale. Par ordre hiérarchique ce sont la Chine, l’Union européenne, l’Inde, la Russie et les Etats-Unis. La production de blé est sujette aux conditions climatiques aléatoires et changeantes, à l’utilisation de semences sélectionnées et d’engrais, ainsi qu’au degré de mécanisation des exploitations. Au niveau de l’export de blé qui a atteint 157 millions de tonnes en 2020, cinq pays exportent plus de 80% qui sont la Russie, les Etats-Unis, le Canada, la France et l’Ukraine. La guerre d’Ukraine qui a été déclenchée par la Russie le 24 Février 2022 a perturbé le commerce international du blé, du fait des sanctions prises par l’Occident contre la Russie, et par le blocage des ports ukrainiens. Or la Russie et l’Ukraine représentent 35% des exportations mondiales, d’où une double conséquence : une hausse considérable des prix et un risque de pénurie. Le prix du blé qui était de 230 euros la tonne en Avril 2021 a atteint 376 euros la tonne en Mars 2022, soit une hausse de 63,4%.
Vingt pays africains à des degrés divers dépendent pour leurs importations de blé de la Russie et de l’Ukraine. Seize pays africains qui représentent 374 millions d’habitants dépendent à plus de 56% de la Russie et l’Ukraine. A titre d’exemples, l’Erythrée dépend à 100%, la Somalie à 90%, Madagascar à 75%, les Seychelles à 50%. Les pays de l’Afrique du Nord sont également grands importateurs de blé par ordre hiérarchique : l’Egypte, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. C’est ainsi qu’en 2021 l’Egypte a importé 12,8 millions de tonnes, l’Algérie 7,7 millions de tonnes, et le Maroc 4,5 millions de tonnes.
Pour le Maroc, l’Etat a suspendu les droits de douane sur les importations de blé de Février au 15 Mai 2021, et de Novembre 2021 à Avril 2022. Cette suspension va coûter au budget 550 millions de dirhams. La subvention pour la farine qui était de 1,3 milliard de dirhams en année normale, est passée à 3,28 milliards de dirhams en 2021 et s’élèvera à 3,84 milliards de dirhams en 2022. C’est ainsi que le Maroc subit plus de flambée des prix que la baisse de l’offre. Le Maroc s’en sort pour l’instant, car il a diversifié ses fournisseurs autres que la Russie et l’Ukraine, en important de l’Argentine, Brésil, Canada, Etats-Unis, France et Royaume-Uni. L’objectif ultime du gouvernement marocain est d’approvisionner convenablement le marché sans augmentation des prix du pain pour le consommateur.
Au niveau africain, le Président du Sénégal et de l’Union africaine Macky Sall a rendu visite au Président Poutine le 3 Juin 2022. Il a déclaré à son interlocuteur, qu’il devrait tenir compte de l’impact que la pénurie de blé pourrait avoir sur le continent africain. Il a ajouté que l’Afrique est victime sur le plan économique de la guerre d’Ukraine. Le Président Poutine a voulu rassurer Macky Sall, en indiquant que les exportations de blé russe et ukrainien pourraient se faire par voie portuaire, ferroviaire et terrestre. Il a ajouté que la libération des ports notamment ukrainiens, était conditionnée par la levée des sanctions occidentales contre la Russie. Le Président Macky Sall a également effectué une visite à Paris le 10 Juin 2022 toujours au sujet de l’importation de blé par l’Afrique. Le Président Macron a dit que la France est prête à aider pour lever le blocus du port ukrainien d’Odessa. D’autre part, le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov a rendu visite à son homologue turc le 8 Juin 2022 pour la mise en place de « corridors sécurisés » pour le transport des céréales ukrainiennes.
En conclusion, il y a urgence à débloquer les ports ukrainiens, qui est la seule solution pour l’exportation du stock de blé ukrainien estimé à 25 millions de tonnes, et éviter ainsi la famine dans certains pays africains. Cependant, cette solution est très complexe et nécessite une prise en mains vigoureuse par l’ONU et une collaboration sincère des pays concernés : Russie, Ukraine, Union européenne, Etats-Unis, Turquie. Il y a tout d’abord les conditions posées par la Russie, à savoir la levée des sanctions occidentales, et l’assurance que les navires commerciaux qui entreraient dans le port d’Odessa ne livreraient pas des armes à l’Ukraine. La Russie de son côté doit s’engager à ne pas attaquer les bateaux qui viendraient charger le blé dans les ports ukrainiens. Il faut aussi le déminage du port d’Odessa par les Ukrainiens ou du moins une cartographie précise des mines. L’autre difficulté réside dans la disponibilité des bateaux de commerce devant s’aventurer en Ukraine pour chercher la marchandise. Il faudrait aussi trouver des compagnies prêtes à assurer les bateaux et la cargaison. Il y a également la question du prix du blé et du fret qui est très élevé actuellement, et qui dépasse les possibilités des pays africains. Tout cela exige une mobilisation de l’ONU pour la coordination des opérations et le rôle d’inspection, ainsi qu’un grand effort des bailleurs de fonds notamment la Banque mondiale et le FMI pour financer l’exportation de blé vers l’Afrique. Il faut enfin régler le problème des virements « Swift » dont la Russie est actuellement dépourvus du fait des sanctions. A plus long terme, les pays africains devraient donner la priorité aux cultures vivrières notamment le blé, pour ne pas dépendre fortement des importations en provenance de l’étranger.
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