La nouvelle confrontation Est-Ouest
Quel choix pour les pays Ă©mergents et du tiers-monde ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Alors qu’on pensait que la guerre froide était terminée en 1991 avec la chute de l’URSS, on assiste ces dernières années à une nouvelle confrontation Est-Ouest. Elle a commencé sous la présidence de Donald Trump (2017-2021) quand il s’est attaqué durement à la Chine, lui portant la responsabilité de la pandémie du Covid-19, et lui imposant des droits de douane élevés pour ses exportations aux Etats-Unis. Mais la crise Est-Ouest a connu son paroxysme le 24 Février 2022, lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, causant des dégâts humains et matériels incommensurables au peuple ukrainien.
Pour être objectif, les deux parties ont une responsabilité dans la confrontation actuelle. L’Occident (Amérique du Nord, Europe, Australie) a voulu dominer le monde depuis la seconde guerre mondiale. Il a créé pour cela des organisations internationales qui lui sont soumises. C’est ainsi que trois pays sur cinq (Etats-Unis, Royaume-Uni, France) disposent du droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU. De même, la Banque mondiale est toujours présidée par un Américain, et le Fonds monétaire international par un Européen. L’autre tort de l’Occident, est d’avoir voulu imposer par la force la démocratie aux autres pays du monde. C’est le cas de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003, sans résolution de l’ONU, et qui a détruit ce pays de civilisation millénaire, dont le capitale Bagdad était un centre de culture et de connaissance pendant des siècles. C’est également le cas de la Syrie, qui après le Printemps arabe de 2011, a été également partiellement détruite par la confrontation entre pays étrangers. C’est enfin le cas de la Libye où les forces françaises et britanniques ont dépassé la résolution de l’ONU 17 Mars 2011 qui avait pour objet « de protéger les populations et les zones civiles tout en excluant le déploiement d’une force étrangère ». Le résultat de l’opération franco-britannique fût la mort de Kadhafi le 20 Octobre 2011, et la décapitation du système politique libyen, qui encore aujourd’hui onze après, n’a pas encore trouvé sa stabilité. Certes ces pays : Irak, Syrie, Libye étaient des régimes dictatoriaux. Mais la leçon à tirer, est qu’on ne peut pas imposer la démocratie par la force. C’est par l’instruction, l’éducation, la consolidation des partis politiques, l’ouverture sur l’extérieur, que les peuples peuvent parvenir progressivement à la démocratie.
L’autre reproche qu’on peut faire à l’Occident est le maintien de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) après la disparition du Pacte de Varsovie (Alliance militaire des pays de l’Europe de l’Est avec l’URSS) qui a été dissous le 1er Juillet 1991. L’OTAN en outre s’est élargie à toutes les anciennes républiques soviétiques, sauf l’Ukraine. Or un document américain déclassifié indique que le Secrétaire d’Etat américain James Baker aurait déclaré à Mikahïl Gorbatchev qu’il « n’y aura pas d’extension de la juridiction de l’OTAN par les forces de l’OTAN d’un pouce à l’Est ». C’est la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN qui a été la cause principale de l’invasion de la Russie.
Le bloc de l’Est (Chine, Russie, Iran) n’est pas non plus sans reproches. Ce sont d’abord des régimes autoritaires, anti-démocratiques, qui ne respectent pas les droits de l’homme, et les libertés dont celle d’expression. La Chine par exemple a pratiqué une répression violente des Ouighours, une ethnie majoritairement musulmane vivant dans la province de Xinjiang. La Chine d’autre part tissé à travers les « routes de la soie » un réseau logistique pour lui permettre d’être la première puissance économique mondiale en 2049 (Centenaire de la création de la République populaire de Chine). D’autre part, la Chine tente sans succès jusqu’à maintenant d’annexer par la force Taïwan, qu’elle considère comme partie de son territoire. A cela s’oppose vigoureusement les Etats-Unis qui aident militairement cette ile contre toute conquête par la Chine.
La Russie post-soviétique ne s’est pas départie de son impérialisme. Elle s’est attaquée à deux reprises à la Tchétchénie avec la prise de la capitale Grozny le 6 Février 2000, et la réinsertion de la Tchétchénie dans la Fédération de Russie. Le Président Poutine qui est un nostalgique de l’URSS veut donner à la Fédération de Russie sa puissance d’antan. C’est ainsi qu’il a intervenu en Syrie pour sauver le régime de Bachar Al Assad, afin de disposer de bases militaires dans ce pays, et développer l’influence de la Russie au Moyen-Orient. En outre, le Président Poutine a créé le Groupe Wagner composé de mercenaires, qui permet à la Russie de s’affranchir des règles de la guerre, et notamment de la Convention de Genève. Le Groupe Wagner intervient en Centrafrique, qui permet à la Russie de rayonner vers la RDC (République démocratique du Congo) ainsi que vers l’Afrique de l’Est et de l’Ouest. La Centrafrique est riche en uranium et en diamants. Le Groupe Wagner s’est implanté aussi en Libye et au Darfour qui dispose de mines d’or, et au Mali où la junte au pouvoir a obligé l’opération française Barkhane de quitter le pays le 15 Août 2022. L’Iran du fait de son anti-américanisme se rapproche de la Chine et de la Russie. Son régime politique qui est une théocratie tente d’étendre l’islam chiite au Moyen-Orient, notamment au Liban, en Irak, et en Syrie. L’Iran a adopté depuis la création de la République islamique en 1979, une politique anti-israélienne par le soutien au Hamas à Gaza et au Hezbollah au Liban. Son principal problème actuel est la levée des sanctions américaines qui la frappent depuis le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Vienne le 8 Mai 2018. Les négociations en cours n’ont pas encore abouti.
Face à ces deux blocs très puissants économiquement et militairement, les pays émergents marquent une certaine neutralité notamment vis-à -vis de la guerre en Ukraine. C’est ainsi que le Président turc Erdogan malgré son vote positif à la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 2 Mars 2022, n’a pas pris de sanctions contre la Russie, et joue l’intermédiaire entre la Russie et l’Ukraine. Il a réussi à résoudre avec la contribution de l’ONU, le problème de l’exportation des céréales d’Ukraine et de Russie vers les pays qui ont en besoin pour éviter la famine. L’Inde de son côté, qui s’est abstenu lors du vote de l’Assemblée Générale de l’ONU du 2 Mars 2022, agit doublement en participant aux Sommets organisés par les deux parties, et notamment aux manœuvres militaires qui seront organisées par la Russie du 30 Août au 5 Septembre 2022 dans l’Extrême-Orient russe aux côtés de la Chine. C’est le cas également de l’Afrique du Sud, qui s’est abstenu lors de vote de l’Assemblée générale de l’ONU du 2 Mars 2022, et qui participe aux Sommets organisés par les deux parties. Le Brésil qui a voté contre la Russie dans la Résolution de l’ONU du 2 Mars 2022, ne joue pas un grand rôle actuellement sur la scène internationale. Son président Jair Bolsonaro est surtout préoccupé par les prochaines élections présidentielles du 2 Octobre 2022 qui vont l’opposer au populaire Lula Da Silva.
Pour ce qui est du reste du monde, l’Afrique est pratiquement divisée en deux : 28 pays ont voté la résolution de l’ONU du 2 Mars 2022, un seul pays a voté contre (L’Erythrée), 17 se sont abstenus, et 8 dont le Maroc n’ont pas pris au vote. Au Moyen-Orient, la Syrie a voté contre la résolution pour des raisons évidentes, tandis que l’Iran et l’Irak se sont abstenus. Pour ce qui est de l’Asie, le Belarus et la Corée du Nord ont voté contre la résolution, et 16 pays dont la Chine et l’Inde se sont abstenus ou n’ont pas participé au vote. En Amérique, seuls cinq pays sont favorables à la Russie : Bolivie, Cuba, Salvador, Nicaragua, Venezuela.
En conclusion, et en reprenant la citation de Charles De Gaulle « Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », chaque pays a adopté une position en fonction de ses intérêts. Ce qu’on constate aussi est une grande confrontation entre les deux blocs de l’Est et de l’Ouest. L’issue incertaine de la guerre en Ukraine aura un impact décisif pour l’avenir du monde. Si la Russie est battue, ce qui semble peu probable, c’est l’Occident qui en sortira vainqueur. Si elle est gagnante, la confrontation Est-Ouest va continuer dans la même configuration que l’ancienne guerre froide entre les Etats-Unis et l’ex-URSS. Ce qu’il faut espérer, c’est l’exclusion de l’utilisation par l’une ou l’autre partie de l’arme nucléaire, qui détruirait le monde entier. Enfin, une réforme profonde de l’ONU est devenue de plus en plus nécessaire, car elle ne correspond pas plus à la structure du monde actuel. Pour éviter la destruction de la planète, toutes les personnes de bonne volonté doivent se mobiliser pour le désarmement général de l’arme nucléaire
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI