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Les trois présidents qui ont façonné l’histoire récente de la Russie
MikhaĂŻl Gorbatchev, Boris Eltsine, Vladimir Poutine

Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

Le décès de Mikhaïl Gorbatchev le 30 Août 2022 a attiré l’attention de l’opinion mondiale sur l’histoire récente de la Russie. Rappelons que l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques) a été proclamée le 30 Décembre 1922 sous la forme d’un Etat fédéral transcontinental à régime communiste. Après avoir participé victorieusement à la seconde guerre mondiale, de fortes tensions géopolitiques apparaissent à partir de 1945 entre le bloc de l’Ouest mené par les Etats-Unis, et le bloc de l’Est dirigé par l’URSS. C’est l’écrivain britannique George Owell qui a utilisé le premier le terme « Cold war » ou « guerre froide ».

Mikhaïl Gorbatchev est né dans la ville de Stavropol d’une famille de paysans. Juriste de formation, il a adhéré au parti communiste en 1952 et devient gouverneur de sa ville natale en 1962 à l’âge de 31 ans. Il a ensuite gravi tous les échelons de la hiérarchie communiste. Secrétaire général du Comité central en 1985 Président du Soviet Suprême en 1989, et Président de l’URSS en 1990. Mikhaïl Gorbatchev lors des différentes fonctions qu’il a occupées, a fait le constat que le régime politique de son pays ne permet pas le développement économique et social. D’ailleurs dès décembre 1984, il se rend au Royaume-Uni pour visiter l’anticommuniste Margaret Thatcher. En 1985, il mène une vaste campagne contre l’alcoolisme. Il a ensuite lancé ses fameuses réformes : la Perestroïka (la reconstruction) en 1985 qui consiste en des mesures économiques, sociales, et éthiques pour lutter contre la corruption. L’année suivante en 1986, il a lancé la Glasnost (transparence) qui est une politique de liberté d’expression et de divulgation des informations même quand elles sont mauvaises, à l’image de l’accident nucléaire de Tchernobyl. La Glasnot permet aussi une ouverture culturelle envers les auteurs interdit de publication tels que Boris Pasternak et Andrei Sakharov.
Mais pour réussir les réformes, il faut instaurer la paix avec les autres pays. C’est ainsi qu’il a retiré en 1988 les troupes soviétiques de l’Afghanistan, et qu’il a entamé des négociations avec les Etats-Unis pour la réduction des armes nucléaires. Il s’est rendu compte que la course aux armements coûte très cher au budget de l’Etat soviétique, réduisant le financement des réformes économiques et sociales. C’est ainsi que Mikhaïl Gorbatchev a entamé des discussions avec le Président Ronald Reagan dès Juillet 1982 pour la réduction des armes nucléaires stratégiques. En décembre 1989, Mikhaïl Gorbatchev signe avec George H.W Bush un accord mettant fin à la guerre froide. C’est finalement avec George H.W Bush, qu’un traité sur la réduction des armes nucléaires stratégiques a été signé en Juillet 1991. Ce traité appelé Start (Strategic Arms Reduction Treaty) prévoit la réduction de 30% des armes nucléaires stratégiques, ainsi que des mécanismes permettant d’en faire la vérification. Entretemps, Mikhaïl Gorbatchev reçoit en 1990 le prix Nobel de la paix. La même année 1990 Gorbatchev entame une réforme constitutionnelle et créé le poste de président de l’URSS. Cependant, les conservateurs du Parti communiste peu favorables aux réformes provoquent un putsch contre Gorbatchev le 19 Août 1991 alors qu’il était en vacance hors de Moscou. Le putsch a échoué, mais a obligé Gorbatchev à démissionner le 25 Décembre 1991 entrainant la dissolution de l’URSS le lendemain 26 Décembre 1991.

Boris Eltsine qui avait joué un grand rôle dans l’échec du putsch du 19 Août 1991, a lui aussi gravi rapidement les échelons du pouvoir. Il a été élu le 29 Mai 1990 président de Soviet Suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, puis président de la Fédération de Russie le 10 Juillet 1991, et enfin président du gouvernement russe le 25 Décembre 1991. Il a été réélu en 1996 pour un second mandat de président de la Fédération de Russie. La période de présidence d’Eltsine a été globalement considérée comme négative par une grande partie des russes. Il a effectué des privatisations massives d’entreprises publiques dans des conditions douteuses, en voulant passer brutalement de l’économie planifiée à l’économie de marché. La corruption s’est installée aux plus hautes sphères du pouvoir, avec l’apparition des oligarques au sein des instances dirigeantes. Les groupes de presse sont tombées aux mains d’intérêts privés, entrainant des guerres médiatiques entre concurrents politiques et économiques. Il a mené une politique étrangère favorable à l’Occident avec un soutien sans failles aux Etats-Unis. Il a permis d’importantes évasions fiscales au bénéficie des pays occidentaux, notamment vers la Grande-Bretagne par des placements financiers en Bourse ou dans des Clubs sportifs. Egalement vers la France et l’Espagne par des achats de propriétés immobilières. D’autre part, des pans entiers de l’économie russe sont passés sous le contrôle de l’Occident, comme c’est le cas de la société pétrolière Loukos. Boris Eltsine avait également beaucoup de problèmes de santé, et de nombreux incidents alimentaient les spéculations sur son alcoolisme. Affaibli par la maladie, il démissionne le 31 Décembre 1999.

Le successeur de Boris Eltsine, Vladimir Poutine était officier du KGB, principal service de renseignement de l’URSS. Il a commencé sa carrière politique à la marie de Saint-Pétersbourg (sa ville natale), puis devient l’un des plus proches conseillers de président Boris Eltsine qui le nomme en 1998 directeur du FSB (Service fédéral de sécurité). En 1999 Boris Eltsine le désigne président du gouvernement de la Russie. A la suite de la démission de Boris Eltsine le 31 Décembre 1999, Il a assuré les fonctions de président de la Fédération de Russie par intérim. Après avoir remporté les élections présidentielles anticipées de 26 Mars 2000, il devient le 7 Mai 2020 président en plein exercice de la Fédération de Russie. Au cours de son premier mandat présidentiel, il lance une série de réformes importantes pour restaurer l’ordre et l’économie de son pays qui a perdu beaucoup de son influence dans le monde. Sur le plan institutionnel, il concentre les pouvoirs présidentiels. Il est réélu en 2004, et en 2008 il soutient la candidature du premier Vice-président du gouvernement Dmitri Medvedev, ne pouvant pas lui-même briguer un troisième mandat selon la Constitution. Une fois élu président de la Fédération de Russie, Medvedev nomme Poutine président du gouvernement, qui prend également la direction du parti « Russie Unie ».
Il commence à être accusé d’autoritarisme dans son exercice du pouvoir, mais néanmoins il remporte l’élection présidentielle de 2012 pour un mandat de six ans, suite à un amendement constitutionnel adopté en 2008. Nostalgique de l’ex-URSS, il s’efforce de restaurer l’influence russe sur la scène internationale. Dans le cadre de la guerre du Donbass, à la suite d’un référendum contesté, il annexe la Crimée appartenant juridiquement à l’Ukraine, qui avait proclamé en 1991 son indépendance vis-à-vis de l’URSS.
D’autre part, il envoie un corps expéditionnaire russe combattre dans la guerre de Syrie en soutien au régime de Bachar Al Assad. Il tente aussi de rétablir l’influence russe en Afrique par l’intermédiaire du Groupe Wagner, une armé privée de mercenaires « utilisable pour régler des problèmes par la force ». Il gagne également l’élection présidentielle de 2018, et fait adopter en 2020 un changement constitutionnel lui permettant d’effectuer deux autres mandats présidentiels. En Février 2022, il reconnait unilatéralement les républiques de Donetsk et de Lougansk situées dans le Donbass, et le 24 Février 2022 il envahit l’Ukraine, guerre qui continue à ce jour. Sous la gouvernance de Vladimir Poutine, s’installe une corruption endémique, l’emprisonnement et la répression des opposants politiques, la suppression des médias indépendants et l’absence d’élections libres et transparentes.

En conclusion, on ne peut que louer le courage de Mikhaïl Gorbatchev pour réformer son pays, le démocratiser et lui assurer la liberté d’expression, et le droit de s’informer honnêtement de ce qui se passe dans le pays et dans le monde. Il mérite aussi toute notre admiration pour les efforts qu’il a entrepris pour le maintien de la paix dans le monde, notamment par la réduction des armes nucléaires stratégiques. Son échec relatif peut s’expliquer par la résistance farouche de ses opposants conservateurs, par ses reformes qui ne sont pas allés jusqu’au bout, parce qu’il pensait pouvoir maintenir le système politique soviétique tout en le réformant. Il a lancé un mouvement qui l’a dépassé et qui a entrainé la chute de l’URSS.
Pour ce qui concerne Boris Eltsine, à part son acte de courage pendant le putsch du 19 Août 1991, en montant sur la tourelle d’un char pour haranguer la foule, le bilan de sa présidence est plutôt terne. Il pensait à tort que le libéralisme et l’économie du marché allait moderniser rapidement le pays et le rendre plus prospère. Il a ruiné l’économie du pays par des privatisations douteuses et une montée spectaculaire de la corruption. Son rapprochement avec l’Occident ne lui a été d’aucune aide. Son comportement a été parfois indigne d’un chef d’Etat d’une grande nation. Les russes pendant sa présidence ont perdu leur fierté qui est le bien le plus précieux pour un homme.
Quant à Vladimir Poutine, il faut reconnaitre que pendant les premières années de sa présidence, il a remis de l’ordre dans son pays, rendu la fierté aux russes, et augmenter l’influence de la Russie sur la scène internationale. Mais son amour du pouvoir l’a amené à changer plusieurs fois la Constitution pour rester aux commandes de son pays le plus longtemps possible. Au fur et à mesure de ses mandats présidentiels, il a amoindri la démocratie, bafoué les droits de l’homme et les libertés. Mais sa plus grande erreur a été l’invasion de l’Ukraine le 24 Février 2022, contrairement au droit international. Les souffrances physiques et matérielles infligées au peuple ukrainien sont incommensurables. Il a menacé à plusieurs reprises d’utiliser l’arme atomique si nécessaire, ce qui a empêché l’Occident d’intervenir directement sur le sol ukrainien. On ne sait pas valeur aujourd’hui quelle sera l’issue de la guerre en Ukraine qui va modifier l’ordre mondial. Vladimir Poutine avec l’invasion de l’Ukraine va laisser dans l’histoire une tache indélébile pour la grande nation russe. Peut être, et espérons le, qu’après son départ du pouvoir, un nouveau Mikhaïl Gorbatchev apparaitra et mènera la Russie vers la paix, la démocratie, et la prospérité.

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