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Élections législatives marocaines 2012 : Benchmarking international des modes de scrutin

Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI
Institut Marocaine des Relations Internationales

Le Ministre marocain de l’intérieur vient d’entamer les négociations avec les partis politiques pour préparer les élections législatives 2012. Il nous a paru intéressant à la veille de ces élections, de faire un benchmarking des modes de scrutin avec quelques pays étrangers. Les élections législatives 2012 seront un test important pour la consolidation de la démocratie au Maroc, notamment suite aux événements dramatiques qu’ont connus les pays arabes depuis le début de cette année. Nous avons choisi trois pays voisins où la démocratie été instaurée de longue date : la Grande-Bretagne, l’Espagne et la France.

En Grande-Bretagne, appelée la mère des démocraties, nous avons examiné les élections qui se sont déroulées en 2010. Le mode de scrutin pour ce type d’élections est en vigueur depuis des siècles. Il s’agit du mode de scrutin à un tour à majorité relative, où est élu le candidat qui a le plus de voix dans sa circonscription. Il suffit d’avoir plus de voix que le second candidat pour être élu. Le mode de scrutin ainsi que la tradition démocratique dans ce pays font qu’il existe de nombreux partis politiques, mais que seuls trois partis ont une représentative parlementaire permanente, et que deux partis seulement ont suffisamment d’élus pour obtenir une majorité. Il s’ensuit une alternance gouvernementale entre le « Labour » parti travailliste et les « Tories » parti conservateur. Le « Labour » est un parti socio-démocrate qui a une fibre sociale assez marquée. Les « Tories » regroupent toute la droite démocratique. Un troisième parti « Libéral-démocrate » qui veut incarner la troisième voie, se présente comme un parti centriste ni de gauche, ni de droite. Il est pour l’abandon de la puissance nucléaire, une plus grande taxation des riches, mais est opposé à toute politique collectiviste et garde ses distances vis-à-vis des syndicats. C’est le parti le plus pro-européen de l’échiquier politique britannique. Les autres partis marginaux sont le BNP (British National Party) d’extrème-droite, l’UKIP, parti d’indépendance du Royaume-Uni qui préconise la sortie de l’Union européenne, et enfin les partis nationalistes (Ecosse, Pays de Galles, Irlande du Nord). Le système électoral a permis à la Grande-Bretagne le retour des conservateurs en 2010 avec une alliance les libéraux-démocrates, après plusieurs années de gouvernance des travaillistes. A noter enfin que les deux partis conservateurs et travaillistes ont remporté à eux deux 86,93% des siéges de la Chambre des Communes.



Pour l’Espagne, nous nous somme intéressés aux élections législatives de 2008, où a été utilisé le mode de scrutin proportionnel de liste par province, méthode Hondt, avec un seuil minimum de 3% des votes pour participer à la répartition des sièges. Chaque parti présente une liste de candidats aux élections. Après détermination du nombre de votes par liste, sont calculés des moyennes, à partir desquelles la répartition des sièges est établie. Ce mode de scrutin avantage les listes ayant bénéficié du plus grand nombre de voix. A noter que la participation à ces élections a été massive avec 73,85% de votants. Le champ politique espagnol est composé de deux grands partis : le parti socialiste qui se réclame de la gauche, et le parti populaire qui représente la droite. Outre ces deux grands partis, 7 autres sont représentés au Parlement dont plusieurs partis nationalistes (Pays basque, Catalogne, Galice, Canaries, Navarre). En Espagne également, c’est l’alternance qui joue, puisque les deux grands partis socialiste et populaire se partagent 92,28% des voix. Les élections de 2008 ont été remportées par le parti socialiste avec 48,28% de sièges.



Ce sont les élections législatives en France de 2007 qui ont éveillé notre attention, où est utilisé le mode de scrutin majoritaire à deux tours. Au premier tour, sont élus les candidats ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés (50%), ainsi qu’un nombre de voix égal à 25% du nombre d’électeurs inscrits. Ont le droit de se présenter au second tour, les candidats ayant obtenu au moins 12,5% de nombre d’électeurs inscrits. Au second tour, il peut y avoir 2, 3, ou 4 candidats qui restent en lice. Le système permet de faire des alliances pour le second tour, et assure en conséquence un majorité gouvernementale à l’Assemblé nationale. En effet, le champ politique français est très diversifié entre la droite dominée par l’UMP ; la gauche fragmentée en parti socialiste, parti communiste, les verts ; le centre (UDF et Modem) ; l’extrême droite (Front national), et l’extrême gauche. Cependant, le système du scrutin majoritaire à deux tours fait que seuls 8 partis sont représentés à l’Assemblée nationale, et que les deux grands partis UMP et parti socialiste se partagent 86,4% des sièges. A noter que pour les élections législatives de 2007 en France, la participation au vote a été de 60%, et qu’elles ont été remportées par l’UMP avec 54,2% de sièges.



Au Maroc, une nouvelle loi concernant les partis politiques a été promulguée en 2006. Cette loi exige que les partis politiques doivent avoir par écrit un programme, des statuts et un règlement intérieur. Aucun parti ne doit être basé sur la religion, la linguistique, l’ethnie, la région, ou la discrimination. Tous les partis doivent respecter les droits de l’homme, et doivent prévoir dans leurs instances un pourcentage de jeunes et de femmes. Il est prévu également l’interdiction pour un élu au Parlement de changer d’étiquette partisane en cours de mandat. Le financement des partis est également, réglementé, et un financement public est prévu sous certaines conditions. C’est dans le cadre de cette nouvelle loi qu’ont eu lieu les élections législatives de 2007. Sur les 325 membres de la chambre des Représentants, 30 sièges ont été réservés aux femmes à l’échelle nationale. Le mode de scrutin adopté était la représentation propositionnelle suivant la règle du plus fort reste, sans panachage ni vote préférentiel. Sur la base des voix obtenus par chaque liste, un quotient électoral est calculé, et la répartition des sièges est faite sur la base du plus fort reste. Il a été prévu également que le seuil de participation à la répartition des sièges été fixé à 6% des votes. Les résultats de ces élections ont été catastrophiques, puisque le taux de participation n’a pas dépassé 37%. D’autre part, le vote a été extrêmement fragmenté puisque le parti victorieux l’Istiqlal, n’a reçu que 10,7% des voix et 52 sièges sur 325 de la Chambre des Représentants. Sur les 20 partis représentés au Parlement, 12 partis ont moins de 10 sièges. Il s’en est suivi une coalition gouvernementale de 5 partis, et de plusieurs ministres technocrates sans appartenance politique. Au cours de la législative actuelle, on a assisté à trois remaniements ministériels, à une grande transhumance des députés d’un parti à un autre, et à un absentéisme chronique lors des sessions parlementaires.



Notre pays a absolument besoin d’une réforme du champ politique avant les prochaines élections législatives de 2012, et de la constitution de 3 ou 4 grands partis. La première mesure concerne la révision du mode de scrutin pour assurer une majorité au prochain gouvernement. Le plus efficace serait le scrutin majoritaire à deux tours, à l’image de l’exemple français. Il faudrait aussi afin de diminuer le nombre des partis représentés à la Chambre des Représentants, d’augmenter à 10% le seuil de représentation. Des mesures strictes doivent être adoptées pour interdire absolument la transhumance des députés en cours de mandat. Enfin, des sanctions doivent être prévues pour lutter contre l’absentéisme chronique des parlementaires. Seules ce type de mesures peuvent crédibiliser la représentation parlementaire, diminuer le nombre pléthorique des partis politiques, et augmenter le taux de participation aux prochaines élections législatives. Le gouvernement doit certes se concerter avec les partis politiques sur les mesures à prendre, mais doit si nécessaire passer outre, car il s’agit de l’avenir de la démocratie dans notre pays.

CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI

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