La Tunisie : Un pays à la dérive
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Jadis pris en exemple suite au Printemps arabe, la Tunisie subit actuellement une dérive inattendue depuis l’élection à la présidence de la République de Kaïs Saïed le 23 Octobre 2019. Cet universitaire spécialiste en droit constitutionnel a opéré un véritable coup d’Etat le 25 Juillet 2021. Il a en effet limogé le gouvernement en place, suspendu l’Assemblée parlementaire, et s’est arrogé le pouvoir législatif et judiciaire en gouvernant par décrets. Il a annoncé le 13 Décembre 2021 une nouvelle Constitution qui fera l’objet d’un référendum à l’été 2022. Cette nouvelle Constitution établit un régime ultra-présidentiel et un Parlement bicaméral : l’Assemblée des Représentants du peuple élu au suffrage universel, et une Assemblée nationale des Régions élue au suffrage indirect. Elle proclame que la Tunisie est « un membre de la Oumma islamique, et que l’Etat seul doit œuvrer à la concrétisation des finalités de l’Islam ». Le 25 Juillet 2022, cette nouvelle Constitution a été adoptée par référendum mais avec un faible taux de participation de 30%. Les élections législatives pour élire les membres de l’Assemblée du peuple ont eu lieu le 17 Décembre 2022 avec un taux de participation encore plus faible de 11,40%.
Sur le plan économique, la Tunisie connait une véritable crise avec une croissance de seulement 2,4% en 2022. L’inflation en 2022 s’est élevée à 10%, alors que la pauvreté a atteint 20% de la population tunisienne estimée à 12 millions d’habitants. Plusieurs produits sont absents des marchés tels que le café, le sucre, le lait et les pâtes. L’endettement est de 85,5% du PIB, et le pays a absolument besoin d’un financement extérieur. Le Fonds monétaire international a promis un prêt à la Tunisie de 1,7 milliard d’euros, à condition de promouvoir les privatisations et de réduire les subventions aux produits de première nécessité. Ce prêt n’a pas encore été débloqué par le FMI, alors que l’Algérie est venue au secours de l’économie tunisienne par un dépôt financier de 150 Millions de dollars à la Banque Centrale de Tunisie en Février 2020. En Décembre 2021 l’Algérie a accordé à la Tunisie un prêt de 300 Millions de dollars, et en Décembre 2022 un prêt de 200 Millions de dollars et un don de 100 Millions de dollars.
Le 21 Février 2023, lors de la réunion du Conseil de sécurité nationale, le Président Kaïs Saïed s’est attaqué aux migrants subsahariens présents en Tunisie, en les qualifiant de « hordes de migrants clandestins » coupables de « violences et de crimes » avec l’intention de transformer la Tunisie en pays africain. Il a même adopté la théorie de l’extrême droite européenne du « Grand remplacement ». Il a en effet affirmé que les immigrés subsahariens veulent « modifier la composition démographique de la Tunisie en remplaçant une population arabe par une population noire ». Cette prise de position du Président Kaïs Saïed est irresponsable, dans la mesure où le nombre d’immigrants subsahariens en Tunisie ne dépasse pas 21.000, et que leur objectif pour le plus grand nombre est d’émigrer en Europe. D’autre part la Tunisie est bien un pays africain géographiquement. La réaction de l’Union africaine ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué daté du 24 Février 2023, la Commission de l’Union africaine a condamné la déclaration du Président tunisien qui ne respecte pas les engagements de l’Organisation. Elle rappelle à tous les dirigeants africains de « s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste » et qu’il y a lieu « d’accorder la priorité et la sécurité aux migrants qui doivent être traités avec dignité ». Plusieurs manifestations ont eu lieu contre la déclaration de Kaïs Saïed, y compris en Tunisie.
En conclusion, on ne peut que déplorer la situation politique et économique actuelle de la Tunisie qui a toujours bénéficié du respect de la communauté internationale. Les relations entre le Maroc et la Tunisie ont été fraternelles depuis l’indépendance des deux pays. Concernant la question du Sahara marocain, la Tunisie a constamment adopté une posture de neutralité positive entre le Maroc et l’Algérie. Malheureusement, le Président Kaïs Saïed a dévié de cette posture en accueillant à l’aéroport de Tunis le chef de la milice séparatiste Brahim Ghali à l’occasion du Forum de la coopération Japon-Afrique (TICAD) qui a eu lieu à Tunis les 27 et 28 Août 2022. De plus, la Tunisie n’a pas voté le 29 Octobre 2021 la résolution 2602 du Conseil de sécurité de l’ONU prolongeant le mandat de la Minurso. Ce positionnement est certainement dû à l’aide financière accordée par l’Algérie à la Tunisie. Il faut espérer un sursaut de la société civile tunisienne pour sortir ce pays frère du mauvais pas où il se trouve actuellement.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI