La guerre du Soudan
Bilan et perspectives ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Rappelons que le Soudan est un pays africain d’une population de 45 millions d’habitants et d’une superficie de 1,8 million de km2. Il a obtenu en 1956 son indépendance de l’Egypte et du Royaume-Uni. Il est entouré de huit pays voisins et dispose d’un port sur la Mer Rouge appelé Port Soudan. Il a été amputé d’une partie de son territoire d’une surface de 619.745 km2 en 2011, sous la forme de République du Soudan du Sud. Son PIB est faible : 34,33 Milliards de dollars le plaçant à la 101ème place dans le monde, et son IDE 0,508 est également faible le plaçant à la 172ème place. Ses principales ressources sont l’agriculture et l’élevage aussi que les richesses minières. Le chômage touche en moyenne 18% des actifs et prés de 50% de la population vit sous le seuil de la pauvreté.
L’histoire récente du Soudan remonte à Omar El Bechir qui a pris le pouvoir par un coup d’Etat militaire le 30 Juin 1989 et qui l’a gardé pendant trente ans. En effet, c’est le 11 Avril 2019 qu’il a été destitué par l’armée suite à de grandes manifestations populaires. A l’issue de cette destitution, un Conseil militaire de transition comprenant des civils a été constitué. Le 21 Août 2019, le Conseil militaire de transition a laissé la place au Conseil de souveraineté de transition, et un gouvernement intérimaire a été formé dirigé par un civil Abdallah Hamdok. Cependant, le 25 Octobre 2021, les militaires ont pris le pouvoir en promettant de transférer l’autorité aux civils par un accord formel prévu pour le 6 Avril 2023. Cependant cette date n’a pas été respectée, du fait de la rivalité entre le général Abdel Fettah Al-Burhan Chef de l’Armée régulière et président du Conseil de souveraineté de transition, et le général Mohamed Hamdan Daglo Chef des forces de sécurité rapide (FSR) et vice-président du Conseil de souveraineté de transition. Le litige entre les deux généraux a porté sur l’intégration des FSR fortes de 100.000 hommes dans l’armée régulière. Al Burhan voulait pour cette intégration un délai de 2 ans, alors que Daglo insistait pour un délai de 10 ans. De plus, Daglo a accumulé des richesses en s’emparant de sites aurifères au Darfour, et serait associé au Groupe Wagner pour financer la guerre russo-ukrainienne par le biais de la contrebande d’or. Début Février 2023, l’armée soudanaise aurait approuvé un accord avec la Russie pour la construction d’une base navale en Mer Rouge.
Le conflit armé au Soudan a débuté le 15 Avril 2023 entre l’armée au pouvoir dans le pays et les forces paramilitaires. Des affrontements ont éclaté dans tout le pays, principalement dans la capitale Khartoum et dans le Darfour. Les affrontements ont commencé lorsque les Forces de soutien rapide (FSR) ont lancé des attaques contre des sites clés du gouvernement. Des frappes aériennes et des tirs d’artillerie ont été signalés dans tout le Soudan. Le Chef des FSR Mohamed Hamdan Daglo revendique le contrôle de la télévision d’Etat, l’aéroport international de Khartoum, et la résidence officielle du Chef de l’armée Abdel Fatteh Al Burhan. Cependant, il est impossible de vérifier ces dires du fait de la guerre d’information entre les deux belligérants. Des efforts pour le cessez-le-feu ont été entrepris par l’ONU, alors que les gouvernements du Kenya, du Soudan du Sud, et de Djibouti ont exprimé leur volonté de jouer le rôle de médiateurs. Malheureusement ces efforts n’ont pas abouti, du fait que des tirs et des explosifs ont été entendus pendant le cessez-le-feu, et que l’aéroport de Khartoum est fermé.
La situation humanitaire dans la capitale Khartoum forte de cinq millions d’habitants est devenu déplorable sans eau ni électricité, avec des difficultés de s’approvisionner en denrées alimentaires, et la défaillance des réseaux téléphoniques et internet. C’est pourquoi plusieurs pays ont entrepris à partir du Dimanche 23 Avril l’évacuation de leur personnel diplomatique et leurs ressortissants par voie aérienne, maritime ou terrestre. En ce qui concerne le Maroc, le Roi Mohammed VI a donné ses instructions pour assurer le retour des citoyens marocains du Soudan. C’est ainsi que l’Ambassade du Maroc à Khartoum a organisé un convoi terrestre au profit de plus de 200 personnes à destination de Port Soudan sur la Mer Rouge, et qu’un pont aérien est en cours d’organisation en coordination avec Royal Air Maroc. L’Organisation mondiale de santé (OMS) a annoncé la mort de 420 personnes, ainsi que 3.700 blessés et des milliers de réfugiés à l’intérieur du pays et dans les pays voisins.
En conclusion, on ne peut que déplorer la situation actuelle catastrophique du Soudan sur le plan humanitaire et politique. La cause principale de ces événements est l’accaparement du pouvoir par les militaires dès l’indépendance du pays en 1956. Les différents dictateurs qui se sont succédés au Soudan n’ont pas développé le pays pourtant riche en ressources naturelles, et n’ont pas promu l’éducation du peuple soudanais. C’est ainsi qu’il est estimé que 20 Millions de soudanais vivent dans l’ignorance et sous le seuil de pauvreté. Les deux généraux rivaux n’ont pas respecté le serment de servir le pays dans la paix et la stabilité. Ils ont déclenché la guerre et provoqué des pertes humaines et matérielles considérables juste pour que l’un deux reste au pouvoir. D’ailleurs pour le moment aucune issue au conflit n’est possible. Il faut aussi craindre les interventions étrangères dans la mesure où le général Al Burhan est soutenu par l’Egypte et l’Arabie saoudite, alors que le général Daglo est soutenu par l’Ethiopie, la Libye (Khalifa Haftar) et les Emirats Arabes Unis. Quant aux grandes puissances, elles n’ont pas indiqué formellement leur favori, mais toute laisse à penser que l’Occident serait plutôt favorable au général Al Burhan, alors que la Chine et la Russie seraient plutôt favorables au général Daglo. Plus globalement, la leçon à tirer de ces événements du Soudan est que les militaires « doivent rester dans leur caserne » et ne pas s’occuper de politique. Pour éviter toute tentative de prise du pouvoir par les militaires, il faut l’instauration d’institutions politiques solides sur le plan législatif (Parlement) et sur le plan judiciaire (Cour constitutionnelle et Cour suprême) afin de décourager toute prise de pouvoir par la force.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI