L’élargissement des BRICS
Quelles perspectives ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Rappelons que les grandes organisations politiques internationales en dehors des unions régionales sont l’Organisation des Nations Unies (ONU), le G7, le G20, et les BRICS. L’ONU a été créée en 1945 et compte 193 Etats membres, ou pratiquement tous les pays sont représentés. Malheureusement, sa structure ne répond plus au monde actuel, notamment le Conseil de Sécurité où cinq pays sont des membres permanents avec le droit de véto (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni). Alors que son objectif principal est la préservation de la paix dans le monde, l’ONU s’est montrée inefficace pour résoudre les deux guerres actuellement en cours en Ukraine et au Soudan. Le G7 a été créé en 1975 et groupe sept pays : Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni ainsi que l’Union européenne. La Russie a été intégrée à ce groupe en 1997, mais a été exclue en 2014 suite à son annexion de la Crimée. Le G7 représente 30,7% du PIB mondial, mais seulement 10% de la population mondiale. Afin d’intégrer les pays émergents, le G20 a été créé en 1999 et regroupe outre les membres du G7 : L’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, le Mexique, l’Arabie saoudite, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie, la Russie et la Turquie. Le G20 représente 80% du PIB mondial, 75% du commerce mondial, et les 2/3 de la population mondiale.
Afin de contrer le G7, cinq pays ont créé en 2009 les BRICS, composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud. Les BRICS représentent 45% de la population mondiale, 2/3 de la croissance mondiale, et 31,5% du PIB mondial. Les pays appartenant à ce groupe sont promus à un brillant avenir, puisque des études ont montré qu’en 2050 la Chine sera la première puissance économique mondiale, l’Inde la troisième, le Brésil la quatrième, et la Russie la cinquième. Cependant, des réserves ont été portées sur le classement de la Russie, du fait qu’elle a déclenché la guerre en Ukraine dont l’issue est incertaine.
La stratégie des BRICS est de renforcer à court terme son poids dans les organisations internationales telles que l’ONU, le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. C’est ainsi que les BRICS n’ont qu’une part de 15% des votes au sein du FMI. A moyen et long terme, les objectifs des BRICS sont de refonder les organisations internationales, afin de refléter l’émergence des nouvelles puissances et le caractère multipolaire du monde en ce début du 21ème siècle. Le but est de diminuer le rôle de l’Occident et notamment des Etats-Unis dans la gouvernance mondiale. C’est ainsi que les BRICS visent un changement dans le système monétaire international dominé par le dollar, qui représente 59% des réserves détenues par les banques centrales.
Dans cette perspective, les BRICS ont crée le 15 Juillet 2014 la nouvelle Banque de développement (NBD) avec un capital de 100 milliards de dollars et dont le siège est à Shanghai. Elle a pour objectif à terme d’être une alternative à la Banque mondiale et au FMI. Son but est de financer les projets d’infrastructures et de développement durable, et de créer une « réserve d’arrangement de devises » afin d’aider les pays membres à contrer les chocs financiers. La NBD fournirait également une assistance à d’autres pays qui souffriraient de l’instabilité économique et monétaire. Les BRICS sont également encouragés à utiliser leur propre monnaie dans les transactions internationales pour se défaire du dollar. Ils envisagent de créer une monnaie commune au cours de cette année 2023.
Les pays qui ne font pas partie du G20 marquent leur intérêt pour une éventuelle adhésion aux BRICS. C’est le cas de l’Algérie, de l’Iran, de l’Egypte, du Nigeria et de la Thaïlande. Certains pays membres du G20 sont également intéressés par les BRICS : Argentine, Arabie Saoudite, Turquie, Indonésie. On peut expliquer cet attrait pour les BRICS du fait du ressentiment qu’éprouvent certains pays vis-à -vis de l’Occident. Ce ressentiment est apparu lors du vote par l’Assemblée générale de l’ONU des résolutions concernant la guerre d’Ukraine. Beaucoup de pays d’Afrique, d’Asie, et d’Amérique latine, n’ont pas voté les résolutions condamnant la Russie. En effet, il est reproché à l’Occident son arrogance vis-à -vis du « Sud Global », les invasions militaires de l’Afghanistan, de l’Irak et de la Libye, l’élargissement de l’OTAN par l’adhésion des anciennes républiques soviétiques, dans une volonté de domination de l’Europe. D’autres reproches vis-à -vis de l’Occident portent sur l’ingérence dans les politiques intérieures, la gestion calamiteuse de la migration, la montée de l’extrémisme et de l’islamophobie, notamment en Europe. Enfin, certains pays veulent simplement avoir de bonnes relations tant avec l’Occident qu’avec les BRICS. Afin de définir les critères d’adhésion, un groupe spécial des BRICS a été mis en place, et va les dévoiler lors de la réunion des ministres des affaires étrangères qui aura lieu au Cap en Afrique du Sud les 1er et 2 Juin 2023. La liste des pays retenus sera annoncée lors du 15ème Sommet des BRICS qui aura lieu à Durban en Afrique du Sud les 23 et 24 Août 2023.
En conclusion, on s’achemine vers un monde multipolaire, mais avec deux grands pôles : le premier mené par les Etats-Unis, et le second dirigé par la Chine. Outre l’aspect économique, le premier pôle se caractérise par la démocratie et le respect des droits de l’homme, le second pôle par des régimes politiques autoritaires ou des démocraties illibérales. Notre pays le Maroc n’ayant pas manifesté son souhait d’adhérer aux BRICS, on peut en déduire qu’il sera plus proche du premier pôle.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI