La nouvelle politique étrangère de l’Arabie Saoudite
Retour de la Syrie Ă la Ligue Arabe
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Rappelons que l’Arabie saoudite s’est liée aux Etats-Unis par le Pacte de Quincy signé le 14 Février 1945 entre le Roi Ibn Saoud et le Président Franklin Roosevelt. Ce pacte prévoit la protection militaire des Etats-Unis à l’Arabie Saoudite, en échange à son accès au pétrole. Cet Accord a produit ses pleins effets jusqu’en 2006 où les Etats-Unis ont commencé à produire du pétrole de schiste, et à devenir le plus gros producteur du monde à partir de 2014. C’est ainsi qu’en 2022 les Etats-Unis n’ont représenté que 6% des exportations totales de l’Arabie saoudite. En résumé, le pacte de Quincy a perdu une partie de sa substance.
Sur le plan intérieur de l’Arabie Saoudite, le 21 Juin 2017 Mohammed Ben Salmane (MBS) a été proclamé Prince héritier, et a accédé aux fonctions de Premier ministre le 27 Septembre 2022. C’est ce dirigeant fort du régime saoudien, qui a modifié la politique étrangère de son pays dans des circonstances particulières. En effet, le 2 Octobre 2018 le journaliste saoudien Jamal Khashoggi a été assassiné au Consulat de l’Arabie saoudite à Istanbul. Le 26 Février 2021 un rapport déclassifié de la CIA a été rendu public, et a pointé du doigt l’implication de MBS dans le meurtre du journaliste Khashoggi. Le Président Biden a fait la promesse de traiter en paria MBS, ce qui a beaucoup altéré les relations entre les deux pays.
Le 14 Février 2022 la Russie a envahi l’Ukraine, ce qui a provoqué des sanctions de la part de l’Occident notamment sur les exportations russes de pétrole et de gaz. Il s’en est suivi une hausse considérable des prix des hydrocarbures sur le marché mondial. Le Président Biden s’est rendu au Sommet de la sécurité et du développement qui s’est tenu à Djeddah les 15 et 16 Juillet 2022. Il a rencontré à cette occasion MBS à qui il a demandé d’augmenter la production de pétrole pour faire baisser les prix sur le marché mondial. Le Prince héritier de l’Arabie saoudite n’a pas donné suite à cette demande, ayant être humilié par l’attitude du Président américain à son égard suite à l’assassinat du journaliste saoudien.
Afin de se dégager de l’influence américaine, MBS a entrepris des négociations avec l’Iran qui était l’ennemi irréductible de l’Arabie saoudite au Moyen-Orient. Ces négociations ont abouti à la surprise générale, à l’Accord signé à Pékin le 10 Mars 2023 rétablissant les relations diplomatiques entre les deux pays. Plus encore, l’Arabie saoudite a participé à la réunion « BRICS plus » qui s’est tenue le 23 Mai 2022, et a demandé officiellement son adhésion en Février 2023 aux BRICS (Groupement du Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Cette demande sera examinée par le Sommet des BRICS qui aura lieu du 22 au 24 Août 2023 à Durban en Afrique du Sud.
L’Arabie Saoudite, grande puissance financière avec un PIB de 996 milliards de dollars, veut également s’affirmer comme puissance régionale au Moyen-Orient. C’est ainsi qu’elle se montre favorable au retour de la Syrie à la Ligue arabe. En effet, la Syrie avait été suspendue par la Ligue arabe en 2011, suite à la répression sanglante par le régime de Bachar Al Assad des manifestations consécutives au Printemps arabe. L’Algérie qui a toujours soutenu le régime syrien, avait tenté sans succès d’intégrer la Syrie lors du Sommet arabe organisé à Alger le 2 Novembre 2022. Suite au tremblement de terre en Syrie du 6 Février 2023, l’Arabie saoudite ainsi que d’autres pays arabes, avait envoyé une aide aussi bien au territoire contrôlé par le président Assad, que celui contrôlé par les rebelles. Le 14 Avril 2023, l’Arabie saoudite a organisé une réunion des ministres des affaires étrangères des pays du Conseil de Coopération du Golfe ainsi que les représentants de l’Egypte, de l’Irak et de la Jordanie pour examiner la question du retour de la Syrie à la Ligue arabe. Le même type de réunion a eu lieu le 1er Mai 2023 à Aman en Jordanie. A l’issue de ces deux réunions en Arabie saoudite et en Jordanie, il s’avère que certains pays arabes sont réticents au retour de la Syrie à la Ligue arabe, tels que Qatar, le Koweït, l’Egypte, le Yémen et le Maroc. Ils exigent comme conditions le retour de tous les réfugiés en Syrie, la reprise du dialogue avec les opposants en vue de la démocratisation du régime, le départ des troupes étrangères de Syrie (Russie et Turquie), enfin l’arrêt du soutien de la Syrie aux séparatistes du Polisario.
La Ligue arabe a invité tous les membres à une réunion qui s’est tenue au Caire les 6 et 7 Mai 2023 en vue d’examiner la situation au Soudan et le retour de la Syrie à la Ligue arabe. Cette réunion qui s’est tenue au niveau des ministres des affaires étrangères a décidé la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe à partir du 7 Mai 2023. Cette décision est motivée par la nécessité de renforcer l’aide humanitaire aux victimes de la guerre civile et du séisme, et pour lutter contre le trafic de drogue qui s’est accru dans la région.
En conclusion, on ne peut que se féliciter de la réconciliation entre les deux grandes puissances du Moyen-orient que sont l’Arabie saoudite et l’Iran. Il faut espérer que cette réconciliation permettra l’instauration de la paix et la stabilité au Liban, Palestine, Syrie, Yémen, et Irak. Quant au retour de la Syrie à la Ligue arabe, il est regrettable que les conditions exigées par certains pays arabes n’ont pas été considérées comme un préalable au retour. Il faut espérer que le prochain Sommet arabe qui aura lieu en Arabie saoudite le 19 Mai prochain formalise ces conditions. N’oublions pas que le coût humain et matériel de la guerre civile qui a eu lieu en Syrie depuis 2011 est considérable : 500.000 morts, 6,6 millions de réfugiés, et une estimation de 900 milliards de dollars pour la reconstruction du pays.
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