La mort du jeune Nahel Ă Nanterre
Quels enjeux ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le Mardi 27 Juin 2023 Nahel un jeune franco-algérien est mort d’un coup de feu tiré par un motard de la police française. Les circonstances précises de ce drame sont en cours d’enquête judiciaire. Selon le motard qui était accompagné d’un collègue, ils ont aperçu une Mercedes avec une plaque polonaise qui circulait sur une voie de bus. Ils actionnent leurs avertisseurs sonores et lumineux et indiquent au conducteur de stationner au niveau du feu rouge. Le véhicule redémarre et grille le feu rouge. Les policiers suivent la voiture alors que le véhicule multiplie les infractions au code de la route mettant en danger un piéton et un cycliste. En raison d’un embouteillage, le véhicule est contraint de s’arrêter. Les policiers mettent pied à terre, sortent leurs armes, les pointent sur le conducteur en lui demandant de couper le contact. Le véhicule redémarre et un des deux policiers fait feu sur le conducteur.
Selon la version du troisième passager à bord de la Mercedes, Nahel aurait reçu plusieurs coups de crosse. Selon ce témoin, un troisième coup de crosse aurait fait lâcher la pédale de frein à Nahel, conduisant la voiture à avancer vu que la boite à vitesse est automatique. De son côté, le syndicat unité SGP-Police-Force ouvrière invoque la légitime défense : un agent aurait fait feu alors que le jeune automobiliste lui aurait foncé dessus. Cette version est remise en cause après la publication d’une vidéo montrant que la voiture n’était pas en état de blesser les policiers, du fait qu’elle ne se dirigeait pas vers eux. Le procureur de la République de Nanterre lors d’une conférence de presse le Jeudi 29 Juin 2023, après avoir relaté les faits a déclaré que « les conditions légales d’usage de l’arme lors du contrôle routier ayant conduit à la mort de Nahel n’étaient pas réunies ». Il a demandé la mise en examen du policier tireur pour homicide volontaire, et requis son placement en détention provisoire.
Des émeutes et violences urbaines éclatent le soir même de la mort de Nahel dans plusieurs quartiers de Nanterre. Les émeutiers, la plupart très jeunes, tirent des feux d’artifice et des projectiles sur la police. Ils incendient des voitures, des bus, des poubelles, et dégradent plusieurs bâtiments. Les émeutes s’élargissent à presque toute la France. Ne sont pas épargnés les mairies, les écoles, les rails du RER, les supermarchés, les locaux de la police, les casernes de gendarmerie, les tramways. Des pillages ont eu lieu dans les supermarchés, les magasins et même les pharmacies. Les quatre premiers jours ont été les plus violents, avec une certaine accalmie le cinquième jour, avec un déploiement massif des forces de l’ordre (45.000 policiers et gendarmes). Le bilan au 2 Juillet 2023 fait mention de 866 bâtiments incendiés ou dégradés, 4873 véhicules incendiés, 3273 interpellations, et 570 policiers blessés, et un mort.
Ce bilan très lourd et qui a touché pratiquement toute la France, et la jeunesse des émeutiers, appelle des explications. Une première cause est la loi de Février 2017 relative à l’usage des armes à feu par les policiers. Cette loi autorise les policiers à faire feu sur un véhicule « dont les occupants sont susceptibles de perpétrer dans leur fuite, une atteinte à leurs vie ou à leur intégrité physique ou celles d’autrui ». Une étude statistique montre que les tirs policiers mortels sur les véhicules en mouvement se sont multipliés par cinq entre avant et après le vote de la loi de Févier 2017. C’est ainsi que la mortalité des tirs a augmenté de 2 en 2016 à 13 en 2022. A noter qu’un seul tir mortel à la suite d’un refus d’obtempérer a été recensé en dix ans par l’Allemagne. Une autre cause est le racisme d’une partie de la police française. Reuters de Londres, une des plus grandes agences de presse du monde, a pointé que depuis 2017 la majorité des personnes abattues par la police en France lors d’un contrôle de circulation sont noires ou d’origine arabe. Le 1er Juillet 2023, la police française est mise en cause pour des faits de racisme par la porte-parole du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Une dernière cause est la question des banlieues françaises où résident une majorité d’immigrés ou leurs descendants, qui renvoie à une situation de concentration de problèmes tels que le chômage, la précarité, la ségrégation mais aussi la question identitaire. Les jeunes des banlieues souffrent d’un exil intérieur, et accumulent les contre-performances sociales : échecs scolaires, absence d’avenir professionnel, galères quotidiennes et recours aux combines de l’économie souterraine, ainsi que le rejet de l’autorité parentale.
En conclusion, on ne peut que déplorer la mort du jeune Nahel et présenter à sa famille nos condoléances attristées. Pour remédier à ce drame, il faut revoir la loi de Février 2017, et préciser formellement les conditions d’utilisation des armes à feu par les policiers. Certes, des efforts ont été faits par les divers gouvernements français pour améliorer la situation des banlieues. Mais les émeutes généralisées suite à la mort du jeune Nahel montrent qu’ils sont insuffisants. Il faut établir un nouveau programme pour développer ces banlieues, en insistant tout particulièrement sur l’éducation des jeunes, la multiplication des investissements pour créer des emplois, ainsi que des terrains de sport. Il faut enfin améliorer le confort des HLM, et faciliter le brassage de la population en construisant des logements sociaux en dehors des banlieues.
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