L’élargissement des BRICS
Quelles perspectives pour un nouvel ordre mondial ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Rappelons tout d’abord que les BRICS est un groupement informel de cinq pays (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui se réunit en Sommet annuel depuis 2011. Les objectifs de ce groupement sont la coopération économique, le financement et le développement durable, la coordination politique, les échanges sociaux et culturels, la technologie et l’innovation, la paix et la sécurité, et la coopération Sud-Sud. Ce groupement représente 41,5% de la population globale, et 32,5% du PIB mondial.
Il a également l’ambition de promouvoir un ordre mondial multipolaire, la réforme du système monétaire international, et la lutte contre le protectionnisme. Pour parvenir à ces objectifs, les BRICS ont créé plusieurs institutions. Ce fût d’abord en 2014 la NBD, la Nouvelle Banque de Développement dont le siège est à Shanghai, avec un capital autorisé de 100 milliards de dollars, qui aura principalement pour rôle de financer les investissements d’infrastructures dans les pays membres. En 2015, ils ont créé le MCR, Mécanisme contingent de réserves, un Fonds également doté de 100 milliards de dollars qui aide financièrement les pays membres en difficulté. Les autres institutions sont la NUB (Réseau Universitaire des BRICS) et le FSJB (Forum des Jeunes scientifiques des BRICS).
A l’ordre du jour du 15ème Sommet des BRICS figurait également l’examen des demandes d’adhésion d’une quarantaine de pays. Après de longues négociations, ce fût finalement six pays qui ont été admis à partir du 1er Janvier 2024. Il s’agit de l’Argentine, Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, l’Iran, l’Egypte, et l’Ethiopie. Les critères de sélection n’ont pas été révélés, et il a été annoncé l’admission d’autre pays à l’avenir.
Avec ces adhésions nouvelles et d’autres dans l’avenir, les BRICS veulent instituer le pendant du G7 qui a été créé en 1975, et qui est constitué de l’Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, et Royaume Uni. Le G7 qui ne représente que 9,8% de la population mondiale accapare 30,7% du PIB mondial. Il est vrai que ce groupement appelé aussi l’Occident domine actuellement l’ordre mondial. Après la victoire durant la seconde mondiale, les Occidentaux ont créé l’ONU, la Banque mondiale, le FMI, où ils se sont arrogés une position dominante. Malgré plusieurs demandes, notamment concernant le Conseil de sécurité de l’ONU, aucune réforme n’a été entreprise. D’autre part, la monnaie américaine le dollar s’est érigée à la première place dans les transactions commerciales et en tant que monnaie de réserve. Certes le G7 s’est élargi au G20 en 1999, où figurent plusieurs pays émergents : Afrique du Sud, Arabie saoudite, Brésil, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie. Mais le G20 n’a pas réussi à opérer des réformes de l’ordre mondial, et s’est contenté de gérer les affaires courantes telles que la crise financière de 2008.
Pour revenir au 15ème Sommet des BRICS et à notre région, l’Algérie qui a fait des mains et des pieds pour adhérer a vu sa demande rejetée, certainement du fait d’une réalité économique désastreuse. Le Brésil et l’Inde auraient estimé que le PIB par habitant chiffré à 3500 dollars est trop faible, ainsi que le manque de diversification de l’économie algérienne basée principalement sur les hydrocarbures. Quant à notre pays, le Maroc n’a fait aucune demande d’adhésion aux BRICS. D’autre part, l’invitation du Maroc à participer au Sommet a émané uniquement de l’Afrique du Sud et non du groupement des BRICS. L’Afrique du Sud a également invité la « RASD » qu’elle soutient de toutes ses forces. Pour toutes ces raisons et à juste titre, le Maroc a décliné l’invitation de l’Afrique du Sud. D’ailleurs, il entretient de bonnes relations avec les quatre autres pays des BRICS, qui sont stratégiques avec trois d’entre eux.
En conclusion, la réforme de l’ordre mondial est indispensable. Les institutions internationales telles qu’elles existent ne reflètent plus la réalité du monde actuel. Le G20 et l’ONU pourraient servir de cadre pour définir un nouvel ordre mondial. Malheureusement, la guerre en Ukraine ne permet pas d’aborder ce sujet. C’est ainsi que le Secrétaire d’Etat américain a déjà annoncé qu’il ne rencontrera pas ses homologues chinois et russe lors du prochain Sommet du G20 qui se tiendra en Inde les 9 et 10 Septembre 2023. Outre la réforme des institutions internationales, il y a une opposition idéologique entre l’Occident qui prône la démocratie, le libéralisme économique, l’état de droit et le respect des droits de l’homme. L’idéologie du bloc oriental repose sur un système politique autoritaire, le contrôle de l’économie, la limitation des libertés et du respect des droits de l’homme. Aussi il est fort probable qu’aucun bloc ne consentira de concession à l’autre, et qu’on risque de se retrouver avec deux blocs mondiaux dirigés l’un par les Américains et l’autre par les Chinois.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI