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Relations internationales
Quel bilan de l’année 2023 ?

Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

L’année 2023 fût tumultueuse au niveau des relations internationales. La guerre en Ukraine n’est pas terminée, et continue à faire des dégâts humains et matériels insupportables. Rappelons que c’est en 2014 que la Crimée a été annexée par la Russie, alors qu’elle fait partie de l’Ukraine selon le droit international. Le 24 février 2022, le président Poutine ordonne à l’armée russe d’envahir l’Ukraine, invasion qu’il a qualifiée « d’opération militaire spéciale ». Il a justifié cette guerre pour éviter l’encerclement de la Russie par les forces de l’OTAN. Les objectifs russes sont le changement du régime ukrainien pro-occidental, la « dénazification » du pays, la dissolution de l’armée ukrainienne, et la neutralisation de son statut politique. Il s’attendait à une opération rapide, mais la résistance ukrainienne sous la présidence de Vladimir Zelenski fût héroïque. L’Occident a réagi en prenant des sanctions sévères contre la Russie, et en apportant une importante aide militaire et financière à l’Ukraine, notamment par les Etats-Unis et l’Union européenne. Cette guerre de l’Ukraine a eu des conséquences mondiales en provoquant une crise énergétique et alimentaire.

A l’aube de l’année 2024, la Russie n’occupe que 17 à 18% du térritoire ukrainien : la Crimée et le Donbass. Le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023 a décidé l’ouverture des négociations pour l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Le président Poutine a affirmé que les sanctions occidentales n’ont pas eu d’effet notable sur l’économie russe, et se dit optimiste pour la victoire. Depuis le début de la guerre, le président Zelenski a déclaré que l’Ukraine ne renoncera à aucune portion de son territoire, et qu’il a la volonté de récupérer la Crimée et le Donbass occupés par la Russie. Cependant la contre-offensive de l’Ukraine de l’été 2023 n’a pas eu les résultats escomptés, et les aides financières des Etats-Unis (61 milliards de dollars) et de l’Union européenne (50 milliards d’Euros) sont bloquées par le Congrès américain et le Parlement européen.
Le président Zelenski craint l’élection de Donald Trump aux élections présidentielles américaines de novembre 2024, car les Républicains veulent réduire ou même supprimer l’aide militaire et financière à l’Ukraine. Il craint aussi une large victoire de Poutine aux élections présidentielles russes en mars 2024. La guerre de Gaza a détourné partiellement l’intérêt de la communauté internationale pour la guerre d’Ukraine. Enfin il faut noter que la Chine, l’Iran, l’Inde, et plusieurs pays en développement d’Afrique et d’Asie n’ont pas condamné l’invasion russe de l’Ukraine. Ce qui montre un certain déclin de l’Occident, et l’émergence d’un nouvel ordre mondial. L’issue de cette guerre d’Ukraine est présentement imprévisible et dépend de plusieurs facteurs qui vont prévaloir en 2024. On peut citer l’élection présidentielle russe et américaine, le déblocage de l’aide financière au profit de l’Ukraine, la situation militaire au front, la lassitude de l’opinion occidentale, l’insuffisance en ressources humaines et d’équipement militaire en Ukraine.
Une autre guerre a été déclenchée à Gaza le 7 octobre 2023 suite à une offensive du mouvement islamiste Hamas sur le territoire israélien, qui a causé la mort de 1200 israéliens en majorité civils, et la prise de 240 otages. Cette offensive du Hamas a été accompagnée des tirs de milliers de roquettes sur Israël. L’armée israélienne a riposté le même jour par des frappes aériennes et par le blocus de la bande de Gaza. Le 13 octobre 2023, l’armée israélienne a lancé une opération terrestre sur Gaza qui s’est intensifiée à partir du 17 octobre 2023. L’Occident a tout de suite pris partie en déclarant «qu’Israël a le droit de se défendre ». Les pays Arabes et une majorité du « Sud global » ont pris partie pour les Palestiniens. L’armée israélienne a forcé 1,9 million de Gazaouis de quitter le Nord de la bande de Gaza, soit 80% de la population totale. La plupart des immeubles d’habitation, des écoles, des hôpitaux, des infrastructures ont été détruit par l’armée israélienne laissant un champ de ruines. Le siège de la bande de Gaza a entrainé une grave pénurie de nourriture, d’eau, de médicaments, et d’hydrocarbures. Par l’intermédiation du Qatar, de l’Egypte et des Etats-Unis, une trêve a eu lieu du 24 au 30 novembre 2023 qui a permis la libération de 105 otages et 240 prisonniers palestiniens. Les pertes palestiniennes au 1er Janvier 2024 s’élèvent à 21.978 personnes tuées et 57.697 blessés dont 75% de femmes et d’enfants. L’armée israélienne a annoncé la mort 167 soldats tués depuis le 17 octobre 2023. Il faut ajouter aussi la mort de 300 palestiniens en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023. L’Unicef a dénoncée la malnutrition mortelle des enfants, alors que l’ONU et l’OMS ont exigé un cessez-le-feu humanitaire immédiat. Le Secrétaire général de l’ONU António Guterres a annoncé la mort à Gaza de 136 employés de son organisation, et a invoqué l’Article 99 de la Charte de l’ONU pour convoquer un Conseil de sécurité. Les Emirats arabes unis ont porté une résolution prônant le cessez-le-feu immédiat à but humanitaire à Gaza. Le 8 décembre 2023, 13 membres du Conseil de sécurité ont voté positivement, le Royaume-Uni s’est abstenu, et les Etats-Unis ont utilisé leur droit de véto empêchant l’adoption de cette résolution. Le 12 décembre 2023, l’Assemblée générale de l’ONU a voté le cessez-le-feu par 150 voix, cependant les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU ne sont pas contraignantes. Le 12 décembre 2023, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité a été adoptée pour « l’acheminement immédiat à grande échelle de l’aide humanitaire à Gaza, mais pas de cessez-le-feu. Il a fallu cinq jours de négociations avec les Etats-Unis pour l’adoption de cette résolution à minima ». Même cette résolution n’a pas été appliquée puisque l’aide humanitaire n’a pas augmenté de manière significative. Cependant Israël a donné son accord le 31 décembre 2023 pour la création d’un corridor maritime entre Chypre et Gaza pour le transport de l’aide humanitaire. Malgré les appels internationaux à faire taire les armes et ceux des familles israéliennes qui ont des proches parmi les otages du Hamas, Netanyahou a indiqué qu’il irait jusqu’au bout, et a affirmé que « Le Hamas doit être détruit, Gaza doit être démilitarisée, et la société palestinienne déradicalisée ». On ne peut que condamner cette guerre imposée par Israël à Gaza, et exiger la fin du massacre des civils palestiniens. L’Afrique du Sud a porté des accusations d’actes de génocide de la part d’Israël devant la Cour internationale de justice. Un porte-parole de l’armée israélienne a annoncé que la guerre de Gaza se poursuivra tout au long de l’année 2024.

A l’avenir, il y a lieu de réformer la composition du Conseil de sécurité de l’ONU, qui permet actuellement à un seul membre permanent de bloquer l’adoption d’une résolution. La réforme doit revoir la composition du Conseil de sécurité qui ne reflète plus la situation actuelle du monde. Il y a lieu aussi de supprimer le droit de véto, et de le remplacer par un vote à la majorité simple pour des décisions courantes, et à la majorité des 2/3 pour les décisions importantes. Quant à la résolution du problème palestinien, il n’y qu’une solution : l’instauration d’un Etat palestinien viable.
Les autres événements significatifs de l’année 2023 sont les coups d’Etat militaires en Afrique de l’Ouest, qui ont marqué la faillite de la gouvernance civile. C’est ainsi que le 26 juillet 2023, le président de Niger Mohamed Bazoum a été remplacé par le général Abdourahamane Tiani, et que le 30 août 2023 le président du Gabon a été remplacé par le général Brice Oligui Nguema. Entre 2020 et 2022 il y a eu quatre coups d’Etat militaires : Mali, Guinée Conakry, Tchad, Burkina Faso. On peut expliquer ces coups d’Etat par la prolongation de la durée des mandats présidentiels après modification de la Constitution, la corruption, les élections frauduleuses, la faiblesse des armées nationales pour faire face au terrorisme islamiste, et l’action néfaste des puissances étrangères qui convoitent les richesses des pays africains. La population civile n’a pas défendu les présidents déchus, et accueille favorablement les militaires au pouvoir, en espérant une vie meilleure. On ne peut que déplorer également le conflit soudanais du 15 avril 2023 appelé aussi « guerre des généraux » entre Mohamed Hamdan Dogolo, chef des forces de soutien rapide, et Abdel Fattah Al Burhan le chef de l’armée régulière. Ce confit fratricide a causé la mort de 1800 personnes et plus d’un million de soudanais ont été contraints de fuir. Par ailleurs selon l’ONU 25 des 45 millions de soudanais ont besoin d’aide humanitaire pour survivre du fait de la pénurie d’eau potable et de nourriture. On peut déplorer également la situation de la Tunisie qui était un exemple de réussite démocratique pendant le Printemps arabe, et qui est présidé actuellement par Kaïs Saïed qui a été élu en 2019. En 2021, il s’octroie les pleins pouvoirs, démet des membres du gouvernement et gèle les activités du Parlement puis le dissout, ce qui constitue un coup d’Etat. En 2022, il a abrogé la Constitution de 2014 et fait adopter une nouvelle Constitution caractérisée par un pouvoir exécutif fort, et fait de l’Islam un objectif de l’Etat et source de droit. La plupart des opposants politiques ont été mis en prison, le plus souvent sans jugement. L’Union africaine et les Unions régionales doivent prendre des mesures draconiennes pour mettre fin aux coups d’Etat en Afrique.
Les autres événements de l’année 2023 sont l’accord surprise entre l’Arabie saoudite et l’Iran le 10 mars, qui a permis le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Cet accord ne semble pas changer la politique de l’Iran qui continue à soutenir le Hamas, le Hezbollah au Liban et les Houtis au Yémen.
Un autre événement est l’élargissement des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Afrique du Sud) en août 2023 au Sommet de Johannesburg à l’Argentine, l’Egypte, l’Ethiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis qui sont devenus membres le 1er janvier 2024. A 11 membres, les BRICS atteignent 46% de la population et 36% du PIB mondial. Les BRICS revendiquent une configuration plus multipolaire du monde. Ils ont créé leur propre institution financière (La nouvelle Banque de développement) concurrente de la Banque mondiale et du FMI, et contestent l’hégémonie du dollar. Il faut noter également la Cop28 (28ème conférence des Parties) qui s’est déroulée à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023. Les principaux résultats de cette conférence sont la création d’un « Fonds pertes et dommages » pour aider les pays en développement, le triplement des énergies renouvelables d’ici 2030, et du nucléaire civil d’ici 2050, et surtout la sortie progressive des énergies fossiles. D’autre part, Recep Tayyip Erdogan a été réélu à la présidence de la Turquie le 28 mai 2023. Il a su renforcer le poids de la Turquie sur la scène internationale, en n’appliquant pas les sanctions à l’égard de la Russie malgré l’appartenance de la Turquie à l’OTAN. Ce qui lui a permis de jouer un rôle dans l’accord pour maintenir un corridor humanitaire maritime sûr en mer Noire, pour l’exportation des céréales russes et ukrainiennes de juillet 2022 à juillet 2023. Il n’a pas donné son accord en tant que membre de l’OTAN à l’adhésion de le Suède parce qu’elle héberge les opposants du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Enfin dans le conflit du Haut Karabakh il a apporté son soutien à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie. Le 21 novembre 2023, les rebelles Houtis chiites soutenus par l’Iran se sont emparés en mer Rouge d’un cargo appartenant à un israélien. Depuis le 3 décembre 2023, ils ont attaqué plusieurs navires commerciaux en mer Rouge à l’aide de drones et de missiles balistiques tirés depuis la côte du Yémen. Ce qui a amené plusieurs compagnies maritimes d’importance mondiale à détourner leurs navires de la mer Rouge. En réponse aux attaques de navires commerciaux par les Houtis, les Etats-Unis ont annoncé le 18 décembre 2023 la formation d’une coalition maritime de dix pays afin de sécuriser le transport maritime en mer Rouge.
Notre pays le Maroc a développé une politique étrangère très active en 2023. Depuis l’avènement au Trône du Roi Mohammed VI en 1999, trois orientations ont caractérisé cette politique : la priorité à la question du Sahara marocain, la diversification du partenariat avec plusieurs pays, et la fermeté avec une rétorsion concrète et immédiate dès que les intérêts supérieurs du pays sont menacés. Concernant la question du Sahara, la résolution du Conseil de sécurité 2703 a été votée le 30 octobre 2023 par treize votes favorables et deux abstentions : la Russie et la Mozambique. Cette résolution a prorogé le mandat de la Minurso jusqu’au 31 octobre 2024. Elle a réaffirmé son soutien à l’initiative marocaine d’autonomie présentée par le Maroc en 2007. Elle a considéré cette initiative en tant que base sérieuse et crédible à même de mettre fin au différend régional sur le Sahara marocain. Les membres du Conseil ont réitéré leur soutien aux efforts du Secrétaire général de l’ONU et son envoyé personnel Staffan de Mistura, en vue d’aboutir à une solution réaliste, pragmatique, et durable, basée sur le compromis.
Sur le plan de la diversification de sa politique étrangère, le Maroc a eu l’honneur d’accueillir l’Assemblée annuelle de la Banque mondiale et du FMI du 9 au 15 octobre 2023. Il a accueilli toujours à Marrakech le Forum Russo-Arabe du 19 et 20 décembre 2023, au cours duquel le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov a réaffirmé le soutien russe à l’action de l’ONU sur la question du Sahara. Ce Forum a permis de renforcer le leadership du Maroc vis-à-vis de la Ligue arabe, et le partenariat avec la Russie. Enfin, il faut signaler la réunion ministérielle sur l’accès des pays du Sahel à l’Océan Atlantique qui a eu lieu le 23 décembre 2023 à Marrakech. Cette réunion a vu la participation du Mali, Niger, Burkina Faso, et Tchad. Elle fait suite à la nouvelle orientation prônée par le Roi Mohammed VI vers l’Atlantique, notamment avec la construction du Gazoduc Nigeria-Maroc. Notre pays a obtenu l’organisation de la Coupe d’Afrique de football en 2025 et la Coupe du monde en 2030. Malheureusement l’année 2023 n’a pas modifié l’attitude de l’Algérie vis-à-vis du Maroc, les relations diplomatiques ayant été rompues par l’Algérie depuis le 24 août 2021.
En conclusion, l’année 2023 a été très agitée au niveau des relations internationales, notamment avec la guerre en Ukraine et à Gaza. Il faut espérer pour 2024 au moins l’établissement d’un cessez-le-feu, pour éviter de nouveaux morts et blessés. Les élections présidentielles américaines en 2024 seront déterminantes par la suite de la guerre en Ukraine. En cas de victoire de Donald Trump, l’Ukraine craint une réduction ou même l’arrêt des aides militaires et financières des Etats-Unis. Pour la diplomatie marocaine, il faut continuer à gérer au mieux la question du Sahara marocain, et continuer la politique de développement et de diversification des relations avec l’Afrique subsaharienne au Sud, les pays arabes à l’Est, l’Union européenne au Nord et les Etats d’Amérique à l’Ouest. Il faut aussi continuer le développement des Provinces du Sud qui vont connaitre un essor remarquable après la construction du port Dakhla Atlantique.

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