Israël traduit devant la Cour internationale de justice
Quelles perspectives ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Rappelons tout d’abord que la Cour internationale de justice a été créée par les Nations Unies le 26 Juin 1945, et est entrée en vigueur en Mars 1946. Elle a remplacé la Cour permanente de justice internationale instaurée par la Société des Nations Unies. Son siège est à La Haye (Pays-Bas) dans le palais de la paix. C’est l’organe judiciaire principal des Nations Unies. Elle a pour principales fonctions de régler des conflits juridiques soumis par les Etats, et de donner un avis sur des questions juridiques présentées par des Organes et agences internationaux agréés par l’Assemblée générale de l’ONU. Elle a compétence universelle puisque tous les membres de l’ONU font partie à son statut. C’est un organe permanent composé de 15 juges élus pour 9 ans par un double scrutin de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité. Son président est un Américain Joan Donoghue et un Marocain Mohamed Bennouna est parmi les juges.
Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a présenté à la Cour internationale de Justice une requête accusant Israël de commettre un génocide contre les Palestiniens de Gaza. Elle justifie sa requête par les actions d’Israël à partir du 7 octobre 2023, « visant à produire la destruction d’une partie substantielle du groupe national racial et ethnique palestinien ». Elle décrit en détails, en s’appuyant sur des documents, les horreurs que l’armée israélienne a infligés aux Palestiniens. Elle apporte des preuves montrant que les dirigeants israéliens ont une intention génocidaire envers les Palestiniens. Depuis le déclenchement de la guerre, les déclarations des dirigeants israéliens sont choquantes, et rappellent la manière dont les Nazis traitaient les juifs. Les Israéliens ont traité les Palestiniens de Gaza comme des animaux en cage depuis de nombreuses années. Plusieurs rapports de l’ONU ont dénoncé le traitement abject des Palestiniens par Israël.
La requête de l’Afrique du Sud estime que les faits bruts commis par Israël ne peuvent être contestés. Elle fait la différence entre génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Elle donne comme exemples les bombardements effectués par les Etats-Unis et la Grande Bretagne des villes allemandes pendant la seconde guerre mondiale. Ces bombardements de la population civile avaient pour but d’aider à gagner la guerre, mais pas de détruire une partie substantielle ou la totalité de la population ciblée. Ce sont donc des crimes de guerre, mais pas un génocide. Le nettoyage ethnique soutenu par une violence sélective est aussi un crime de guerre. Le génocide a été qualifié par de nombreux observateurs comme « le crime des crimes ». L’intention génocidaire de la part des dirigeants israéliens est apparue après la trêve du 24 au 30 novembre 2023, où Netanyahu a décidé de reprendre la guerre.
La responsabilité des Etats-Unis sinon la complicité dans la poursuite de la guerre à Gaza est évidente. En effet, les Etats-Unis ont utilisé leur droit de véto pour empêcher l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité du 8 décembre 2023 prônant le cessez-le-feu immédiat à but humanitaire à Gaza. De même, Biden a contourné le refus du Congrès pour livrer des armes supplémentaires et une aide financière à Israël. Il avait aussi déclaré « Nous n’allons pas faire quoi que ce soit, sauf protéger Israël ». La requête de l’Afrique du Sud a appelé la Cour internationale de justice à émettre des mesures provisoires ordonnant à Israël de suspendre immédiatement sa campagne militaire à Gaza.
La Cour internationale de justice a examiné la requête de l’Afrique du Sud le 11 Janvier 2024. Le lendemain, c’était au tour des Israéliens de répondre aux accusations de l’Afrique du Sud. Israël a rejeté les accusations de l’Afrique du Sud affirmant qu’il s’est engagé « dans une guerre qu’il n’a pas déclenchée et qu’il ne voulait pas ». L’équipe juridique israélienne a insisté sur le fait que le double objectif militaire était d’éradiquer la menace existentielle posée par les militants du Hamas, et de libérer les 136 otages toujours détenus. Elle a ajouté que « Israël s’est engagé dans une guerre de défense contre le Hamas, pas contre le peuple palestinien ». Elle a affirmé que 110.000 israéliens ont été déplacés suite au déclenchement de la guerre le 7 octobre 2023, et qu’ils ne peuvent pas rentrer chez eux en toute sécurité. La question de la légitime défense a figuré en bonne place dans la réponse d’Israël ajoutant « que si un Etat est attaqué, il a le droit de se défendre ». Les représentants israéliens ont indiqué que 1.200 personnes ont été tuées lors de l’attaque du Hamas, avec la prise de 250 otages.
En conclusion, il faut espérer que la Cour internationale de Justice prononce l’arrêt immédiat de la guerre à Gaza, d’autant plus que le bureau des droits de l’homme des Nations Unies a réitéré vendredi 12 janvier 2024 son appel à la fin immédiate de la violence à Gaza. La riposte d’Israël à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 est largement disproportionnée. Au 15 janvier 2024, les pertes palestiniennes s’élèvent à 23.968 morts et 60.562 blessés, dont les ¾ sont des femmes et des enfants, 1,9 million de Gazaouis ont été forcés de quitter leur domicile en ne trouvant nul part où s’abriter. Même si la Cour internationale de Justice prononce l’arrêt de la guerre à Gaza et que ses jugements sont contraignants, elle n’a pas les moyens de les appliquer. D’ailleurs le 13 janvier 2024 Netanyahu a déclaré « Personne ne nous arrêtera, ni La Haye, ni l’axe du mal, ni personne d’autre ». Cependant si Israël est condamné, il sera regardé à l’avenir comme principal responsable d’un des cas canoniques de génocide.
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