Sénégal
Le Triomphe de la démocratie
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Situé dans la partie la plus occidentale du continent africain, le Sénégal compte une population de 18,03 millions d’habitants sur une surface de 196.712 kilomètres carrés. Son PIB est de 27,68 milliards de dollars, avec une parité de pouvoir d’achat par habitant de 3564 dollars. Le Sénégal est membre de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et l’UEMOA (Union économique et monétique Ouest africaine). Sa population est très jeune : 75% des habitants ont moins de 35 ans. La croissance de l’économie du Sénégal a été de 3,7% en 2023, du fait de l’inflation (6%) et du retard dans la production d’hydrocarbures. Ses principales richesses proviennent des mines (or, phosphate, pétrole et gaz), de l’agriculture, la pêche maritime, la construction et le tourisme. Sur le plan politique, le Sénégal demeure l’un des pays les plus démocratiques et les plus stables de l’Afrique. Les trois alternances politiques, depuis l’indépendance de la France en 1960, ont été pacifiques.
Macky Sall a été élu confortablement à la présidence du Sénégal en 2012 et réélu en 2019. Il a décidé de ne pas se représenter pour un troisième mandat aux élections présidentielles prévues le 25 Février 2024. Cependant à la surprise générale, le 3 Février 2024 il annonce le report sine die du scrutin ouvrant une crise politique la plus grave depuis l’indépendance. Il a motivé le report par le différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, dont deux juges seraient soupçonnés de corruption. Le 7 Février 2024, le Parlement sénégalais approuve une enquête parlementaire pour faire la lumière sur les conditions d’invalidation des candidatures par le Conseil constitutionnel. C’est le cas du candidat Karim Wade qui a été écarté du fait de sa double nationalité franco-sénégalaise, étant donné que la Constitution exige la seule nationalité sénégalaise pour les candidats. Deux juges du Conseil constitutionnel sont soupçonnés de connexion douteuses avec des candidats, notamment Amadou Ba Premier ministre et candidat du parti de Macky Sall aux élections présidentielles. Le principal opposant au candidat au pouvoir Amadou Ba est Bassirou Diomaye Faye représentant le PASTEF (Parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) dont le président est Ousmane Sonko. Ce dernier qui était également candidat aux élections présidentielles, du fait de ses démêlés avec la justice, a vu sa candidature refusée par le Conseil constitutionnel le 20 Janvier 2024. C’est Ousmane Sonko qui a choisi Bassirou Diomaye Faye pour le remplacer aux élections présidentielles.
Le 5 Février 2024, le Parlement sénégalais approuve le report du scrutin présidentiel au 15 Décembre 2024 avec prolongation du mandat de Macky Sall de dix mois, sensé prendre fin le 2 Avril 2024. Cette décision qualifiée par l’opposition de Coup d’Etat constitutionnel a entrainé des manifestations à travers le pays qui sont réprimées durement par la police. Le 15 Février 2024, le Conseil constitutionnel annule le décret de Macky Sall abrogeant l’élection faute de base légale, ainsi que le texte de loi adopté par le Parlement pour reporter l’élection présidentielle. Début Mars 2024, le Dialogue national organisé par Macky Sall et boycotté par l’opposition, propose la date du 2 Juin 2024 pour les élections présidentielles. Cette proposition est rejetée par le Conseil constitutionnel qui fixe comme impératif la fixation d’une date avant le 2 Avril 2024 qui marque la fin du mandat de Macky Sall. Enfin le 7 Mars 2024, le président Macky Sall et le Conseil constitutionnel fixent la date des élections présidentielles le 24 Mars 2024. Le 14 Mars 2024 le Parlement amnistie Oussmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, soit dix jours avant les élections présidentielles.
Les élections présidentielles ont eu lieu comme prévu le 24 Mars 2024 avec un taux de participation de 61,3%, et l’élection de Bassirou Diomaye Faye au premier tour avec 54,28% de voix. La cérémonie de passation des pouvoirs a eu lieu le 2 Avril 2024 au Palais présidentiel où le président Faye a nommé Oussman Sonko Premier ministre. Le 5 Avril 2024, le gouvernement de rupture est nommé constitué de 25 ministres dont 4 femmes (Affaires étrangères, Pêches, Famille, Jeunesse et Culture) et 5 Secrétaires d’Etat. Les priorités du président Faye pour les cinq années à venir sont la lutte contre l’inflation et la corruption, l’emploi des jeunes, la bonne gouvernance économique, la réforme des institutions, la rationalisation et le financement des partis politiques, l’audit des compagnies minières, la promotion de la ZLECA (Zone de libre-échange continentale africaine). Le remplacement du Franc CFA n’a pas été cité comme une priorité, le problème devant être réglé dans le cadre de l’UEMOA.
Pour la cérémonie de passation des pouvoirs le 2 Avril 2024, seul le Roi Mohammed VI a été invité en dehors des Chefs d’Etat de la sous-région. Cette initiative marque les relations historiques et fraternelles entre le Maroc et le Sénégal. Le Roi Mohammed VI a effectué huit visites au Sénégal depuis son intronisation. La coopération entre le Maroc et le Sénégal est multidimensionnelle dans tous les domaines : politique, économique, culturel et religieux. Sur le plan politique le Sénégal à toujours soutenu le Maroc, tant en ce qui concerne la marocanité du Sahara en ouvrant un Consulat général à Dakhla en 2021, que pour le retour du Maroc à l’Union africaine en 2017. Sur le plan économique, le Maroc a investi dans plusieurs secteurs, dont l’assurance, la banque, et les télécoms. Sur le plan culturel, des milliers de Sénégalais étudient au Maroc dont la plupart sont boursiers. Sur le plan religieux, la ville de Fès abrite le mausolée d’Ahmed Tijani, et le lieu de pèlerinage de la confrérie Tijaniyya, visité chaque année par un grand nombre de Sénégalais.
En conclusion, les élections présidentielles sénégalaises du 24 Mars 2024 ont montré l’attachement à la démocratie aussi bien des institutions, que du peuple. Le Conseil constitutionnel du Sénégal n’a pas cédé à l’exécutif, notamment en imposant une date des élections présidentielles avant le 2 Avril 2024, qui marque la fin du mandat de Macky Sall. Il a également validé les candidatures à la présidence dans le respect de la loi sans aucune dérogation. Le peuple sénégalais s’est également soulevé par des manifestations monstres chaque fois que la loi n’est pas respectée. L’exemple du Sénégal devrait être suivi par les autres pays africains afin que la démocratie règne en Afrique.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI