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Mort du Président Ebrahim Raïssi
Quel avenir pour l’Iran ?

Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

Le 19 Mai 2024, l’hélicoptère qui transportait le président de l’Iran Ebrahim Raïssi et sept autres personnes, dont le ministre iranien des affaires étrangères Amir-Abdollahian, s’est écrasé au nord-ouest de l’Iran dans une zone montagneuse et boisée. Le Guide de la Révolution Ali Khamenei a immédiatement lancé un appel au peuple iranien, lui demandant de ne pas s’inquiéter, et qu’il n’y aura pas de perturbation dans l’Administration publique. Après des recherches pendant toute la nuit, l’épave de l’hélicoptère a été trouvée, et les autorités iraniennes ont annoncé le 20 Mai 2024 la mort d’Ebrahim Raïssi et ses compagnons de voyage. Après une enquête préliminaire, l’armée iranienne a indiqué le 24 Mai qu’il s’agit d’un accident, l’hélicoptère a pris feu après avoir percuté une zone élevée, et aucun impact de balle n’a été observé sur l’épave de l’hélicoptère.

Ebrahim Raïssi est un religieux chiite qui a commencé sa carrière dans le système judiciaire islamique en 1980. Procureur adjoint de Téhéran à partir de 1985, il a participé à la répression et aux exécutions massives d’opposants à partir de 1988, ce qui lui a valu le surnom de « boucler de Téhéran ». Procureur général de 2014 à 2016, il est premier-vice-président de 2019 à 2021 de l’Assemblée des experts. Candidat en 2021 à l’élection présidentielle, il l’emporte avec une faible participation au premier tour soutenu par les conservateurs. Sa présidence est marquée par le déclenchement fin 2022 de manifestations de protestation civile consécutive à la mort de Mahsa Amini, arrêtée pour non respect du code vestimentaire des femmes. C’est sous sa présidence que l’Iran a attaqué Israël dans la nuit du 13 au 14 Avril 2024. Ebrahim Raïssi était pressenti pour succéder comme Guide de la Révolution à Ali Khamenei âgé de 85 ans.

En conformité avec la Constitution, c’est le premier vice-président Mohammed Mokhber qui remplace Ebrahim Raïssi en attendant une nouvelle élection présidentielle fixée le 28 Juin 2024. D’autre part, c’est le négociateur en chef du dossier nucléaire Ali Bagheri qui remplace le ministre des affaires étrangères décédé dans l’accident d’hélicoptère. L’élection présidentielle du 28 Juin sera organisée par un Conseil composé du président du parlement, le chef de la justice, et le premier vice-président. La mort d’Ebrahim Raïssi a été accueillie avec tristesse par les supporters du régime qui lui ont réservé des funérailles grandioses. Cependant, des feux d’artifice de joie ont été lancés notamment à Saghez, la ville des Kurdistan où est née Mahsa Amini. Les réseaux sociaux animés par le Mouvement « Femmes, vie, liberté » ont également exprimé leur joie après la mort de Raïssi.
Pour comprendre la suite des événements après la mort du président Ebrahim Raïssi, il faut rappeler le système politique instauré par Khomeini après la Révolution iranienne de 1979. Toutes les institutions et les activités de l’Iran sont fondées sur les principes de la loi coranique et de la théorie des « Velayat-e faqih », la tutelle du docteur de la loi religieuse. Le système institutionnel iranien fait cohabiter deux légitimités : une légitimité religieuse incarnée par le Guide de la Révolution, et une légitimé démocratique et politique issue du suffrage populaire. Le Guide de la Révolution est le chef de l’Etat, désigné par l’Assemblée des Experts pour une durée indéterminée, et qui dispose de tous les pouvoirs. Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois, et qui est le chef du gouvernement de l’Iran. Cependant, les candidatures à la présidence de la République doivent être acceptées par le Conseil des gardiens de la révolution qui doit également valider l’élection. Cette dernière doit être ratifiée par le Guide de la Révolution. Le président de la République ne dispose pas du droit de dissolution du Parlement (Majlis). Ce dernier est composé de 290 députés qui sont élus pour quatre ans au suffrage universel direct. Les candidatures au parlement sont soumises à l’acceptation du Conseil des gardiens de la révolution. Le Majlis dispose du pouvoir de voter la loi et de renverser l’exécutif, si deux tiers des députés lui refusent leur confiance. Le Guide de la Révolution en est informé pour prendre éventuellement la décision de le destituer. Enfin l’armée régulière est doublée par les Gardiens de la Révolution (Pasdarans) qui est une organisation paramilitaire dépendant directement du Guide de la Révolution.
En outre, l’ayatollah Khomeini a créé en 1979 l’organisation des Bassidjis, qui sont chargés de la sécurité intérieure et extérieure du régime iranien, notamment la répression des manifestations anti-régime. Tenant compte du système politique en vigueur en Iran, il ne faut pas s’attendre à un changement de la gouvernance dans ce pays. Les candidats pour les élections présidentielles du 28 Juin 2024 seront sélectionnés par le Conseil des gardiens de la révolution. Il est quasiment certain que seuls les conservateurs seront autorisés à briguer la présidence de la République. Aussi, il faut s’attendre à court et moyen terme au maintien de la politique actuelle de l’Iran tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur. Ce n’est qu’après le décès du Guide de la Révolution Ali Khamenei âgé de 85 ans, que l’avenir de l’Iran sera scellé.

En conclusion, on ne peut que déplorer la situation actuelle de l’Iran qui a connu dans le passé une brillante civilisation. Sur le plan politique, le régime iranien est anti-démocratique dans la mesure où les candidatures tant législatives que présidentielles, sont soumises à l’acceptation du Conseil des gardiens de la révolution, qui écarte tout opposant au régime. De plus, la liberté d’expression n’existe pas, car toute personne qui critique le régime est arrêtée et souvent condamnée à mort. C’est le cas du rappeur Toomaj Salehi condamné à mort pour avoir dénoncé les injustices et les pratiques du régime iranien. Ce dernier pratique un « Apartheid du genre » en obligeant les femmes à porter le voile sous peine d’arrestation par la police des mœurs.
Sur le plan économique, les Pasdarans (gardiens de la Révolution) sont le plus grand groupe d’influence en contrôlant les ports et aéroports, et les entreprises dans le secteur du bâtiment, de la construction navale et des télécommunications. L’économie iranienne est dominée par le secteur public qui reçoit plusieurs subventions de l’Etat. Du fait des sanctions occidentales, les importations de biens d’équipement sont faibles, et ne permettent pas de moderniser l’industrie. Le commerce extérieur de l’Iran est orienté principalement sur la Chine (90% des exportations de pétrole), les Emirats Arabes Unis, la Turquie et l’Inde. Le rial iranien a perdu dix fois de sa valeur par rapport au dollar pendant les six dernières années, ce qui entrainé l’augmentation de l’inflation à 40%. En 2023 le taux de chômage a été de 7,6% avec 20,6% pour les jeunes.
Au niveau de la politique extérieure, après avoir voulu exporter la révolution de 1979 au reste des pays du Moyen-Orient, l’Iran a renforcé son influence sur « l’arc chiite » de Téhéran à Damas, en opposition à l’Arabie saoudite leader du sunnisme. Pour cela, l’Iran a fourni une aide financière et militaire à plusieurs milices : le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, les Houtis au Yémen. Son objectif est de circonscrire l’influence américaine et israélienne dans la région. Pour cela, l’Iran tente de se doter de l’arme nucléaire, surtout après le retrait des Etats-Unis en 2018 de l’Accord sur le nucléaire iranien de 2015.
Les relations entre l’Iran et le Maroc ont été tumultueuses après la Révolution iranienne de 1979. En 1981, l’Iran a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc en réponse à la décision du Roi Hassan II d’accorder l’asile au Shah Mohammad Reza Pahlavi en exil. Les relations ont été rétablies sous le gouvernement de Abderrahman Youssoufi en 2002. Le Maroc a rompu ses relations avec l’Iran en 2009 à cause de l’ingérence de Téhéran dans les affaires internes du Bahreïn et du prosélytisme chiite de l’Iran dans le Maroc sunnite. En 2014 les relations ont été rétablies, puis coupées en 2018 du fait que l’Iran avait fourni un soutien financier et logistique au Polisario par l’intermédiaire du Hezbollah. En 2021, l’Iran a manifesté sa volonté d’avoir des relations amicales avec le Maroc qui n’a pas donné suite. Le 6 Avril 2023 sous l’égide de la Chine, un accord a été signé par l’Arabie saoudite et l’Iran pour rétablir leurs relations diplomatiques. Cependant malgré cet accord, l’Iran n’a pas infléchi sa politique extérieure car il continue à soutenir ses proxys au Moyen-Orient.

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