Guerre en Ukraine et Ă Gaza
La politique de l’Occident de deux poids deux mesures
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
La commémoration du débarquement du 6 Juin 1944 a été célébrée en grande pompe en France. En effet, il y a 80 ans au matin du jour-j, plus de 150.000 soldats alliés ont débarqué sur les plages de Normandie. Cette opération dénommée en anglais « Overlord » a été précédée du lancer de plusieurs milliers de parachutistes pour nettoyer le terrain afin de neutraliser les positions allemandes avant le débarquement. Ont participé à cette opération majoritairement les Américains, les Britanniques et les Canadiens, alors que les Français ne représentaient qu’environ 3.000 militaires. Cette opération fût un succès qui a abouti à la libération de Paris le 25 Août 1944.
Etaient invités à cette commémoration 24 Chefs d’Etat, dont les Présidents Joe Biden des Etats-Unis et Volodymer Zelenski de l’Ukraine. Dans son discours d’ouverture, le Président Emmanuel Macron a qualifié l’Europe de trésor de la liberté et de la démocratie, et a affirmé que la construction européenne a jeté les bases d’un ordre international fondé sur le droit. Il s’est adressé à Zelenski dans ces termes « Votre présence Monsieur le Président d’Ukraine dit tout cela ». Il a poursuivi « Merci au peuple ukrainien, à sa bravoure, et son goût de la liberté ». Il a qualifié le 6 Juin de jour sans fin pour tous ceux qui, partout dans le monde, vivent dans l’espérance, la liberté, l’égalité, et la fraternité. Plus concrètement, le Président Macron a indiqué qu’il va intervenir pour le lancement dans les meilleurs délais des négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Il a annoncé également la livraison à l’Ukraine d’avions de chasse Mirage 2000-5 après la formation en France des pilotes ukrainiens. Il s’est engagé pour la formation d’une coalition de pays européens pour envoyer des instructeurs militaires sur le sol ukrainien. Il a enfin annoncé des dons et des prêts à l’Ukraine d’un montant de 650 millions d’euros, ainsi que la création en Ukraine d’une filiale du groupement franco-allemand KNS pour la fabrication d’armes notamment les canons Caesar.
De son côté, le Président Biden a réaffirmé son soutien à l’Ukraine agressée illégalement par la Russie. Il a qualifié la guerre en Ukraine de « bataille entre la liberté et la tyrannie ». Il a ajouté que les Etats-Unis ne tourneront pas le dos à l’Ukraine qui peut compter sur l’OTAN forte de 32 pays, et qui est la plus grande alliance militaire de l’histoire. Après les 61 milliards de dollars d’aide à à l’Ukraine en Avril 2024, le Président Biden annonce une nouvelle aide de 225 millions de dollars. Il a enfin annoncé son intention d’utiliser les actifs russes aux Etats-Unis pour la reconstruction de l’Ukraine. Les Etats-Unis sont les plus grands contributeurs de l’Ukraine tant au niveau des armements fournis que de l’aide financière. Ils ont notamment accepté de fournir à l’Ukraine des avions de chasse F15 soit sur leur stock, soit par les pays européens disposant de ce type d’avions.
Tout autre est la position de l’Occident (principalement les Etats-Unis et l’Europe) vis-à -vis de la guerre à Gaza. Rappelons qu’après l’attaque du Hamas sur Israël du 7 Octobre 2023 qui a causé la mort de 1200 israéliens et la prise de 240 otages, l’armée israélienne a immédiatement riposté. Ce fût tout d’abord par des frappes aériennes, et puis par des opérations terrestres au Nord, au centre et au sud de Gaza. Valeur aujourd’hui, le bilan de pertes palestiniennes est de plus de 36.000 morts et 80.000 blessés, dont 80% sont des femmes et des enfants. A cela s’ajoute la destruction de la quasi-totalité des infrastructures, des écoles, des hôpitaux et des immeubles d’habitation. Alors que Gaza recevait avant la guerre 600 camions par jour, les forces israéliennes ne permettent que le passage d’un nombre réduit de camions, causant une situation de famine faute de nourriture, et de maladies mortelles faute de soins. L’Occident a pris position pour Israël invoquant « son droit à se défendre », alors que le Président Biden n’a cessé de répéter « le soutien inébranlable des Etats-Unis à Israël ». Ce soutien américain s’est concrétisé par le déploiement de deux porte-avions en Méditerranée orientale, l’aide financière, la livraison d’armes de toutes natures, l’envoi à Israël de forces spéciales pour aider à la planification des combats et le renseignement. Les Etats-Unis ont également utilisé leur véto au Conseil de sécurité pour s’opposer aux résolutions demandant un cessez-le-feu immédiat et un approvisionnement suffisant de la bande de Gaza en nourriture et médicaments.
Le Président français Emmanuel Macron tout en faisant voter le cessez-le-feu au Conseil de sécurité de l’ONU, a de son côté apporté son soutien à Israël en continuant à lui livrer des armes, et en refusant de reconnaitre officiellement l’Etat palestinien. Cette position des dirigeants américains et français n’a pas été suivie par quatre pays européens : l’Espagne, la Norvège, l’Irlande et la Slovénie qui ont reconnu officiellement l’Etat palestinien en plus de la Suède, l’Islande, et le Vatican. Valeur aujourd’hui 146 pays sur les 193 Etats membres de l’ONU, reconnaissent l’Etat palestinien.
Ce positionnement favorable à Israël a décrédibilisé l’Occident vis-à -vis du « Sud global ». Tout d’abord en lui reprochant de ne pas respecter ses propres valeurs de liberté, d’égalité, de justice et des droits de l’homme. Concrètement, cela est apparu récemment par la non condamnation par plusieurs pays du « Sud global » de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Un autre exemple est le rejet de la France par plusieurs pays africains notamment de l’Ouest. Enfin, il s’est manifesté également par l’adhésion de plusieurs pays aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) dont l’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, l’Ethiopie et l’Iran. D’autres pays ont exprimé leur intérêt d’adhérer aux BRICS : Algérie, Bolivie, Indonésie, Cuba, République démocratique du Congo, les Comores, le Gabon et le Kazakhstan.
En conclusion, l’ordre issu de la seconde guerre mondiale est arrivé à son terme. On assiste aujourd’hui à un ordre mondial multipolaire qui n’est plus dominé par l’Occident. Ce dernier doit revenir à ses valeurs traditionnelles qui ont fait sa force pour ne pas décliner. Deux grands pôles se dessinent : L’Occident comprenant les Etats-Unis et l’Europe, et les BRICS+. Mais ce ne sont pas des pôles étanches, chaque pays cherchant tout d’abord ses propres intérêts. C’est le cas par exemple du Brésil, de l’Inde, de la Chine, qui tout en appartenant aux BRICS, cherchent à renforcer leurs relations économiques avec l’Occident. L’Afrique devrait aussi renforcer son unité pour constituer un pôle à part, au lieu de se disperser dans les autres pôles. Enfin la réforme de l’ONU devient de plus en plus indispensable pour refléter le monde tel qu’il est aujourd’hui.
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