Elections législatives françaises
Programme des partis politiques en lice
Quel impact sur le Maroc ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Les élections européennes ont eu lieu du 6 au 9 Juin 2024 pour l’élection de 720 députés pour la législature 2024-2029. Concernant la France, c’est le Rassemblement national (RN) qui est parvenu en tête avec 31,37% des voix, contre seulement 14,6% pour la majorité présidentielle. En outre, le parti socialiste a obtenu 13,83% et la France insoumise 9,89%. Après la proclamation des résultats, et le dimanche 9 Juin au soir, le président Macron invoquant l’article 12 de la Constitution a dissous l’Assemblée nationale, en disant non aux extrémistes de droite et de gauche. Il a fixé le 30 Juin 2024 pour le premier tour, et le 7 Juillet 2024 au second tour pour de nouvelles élections législatives françaises. Selon la Constitution, Emmanuel Macron restera le président de la France jusqu’aux élections présidentielles de 2027.
D’après les sondages, ce serait le RN qui gagnerait les élections législatives françaises. Mais il faut être prudent, car dans plusieurs cas les sondages se sont trompés. Une partie des Républicains à l’initiative d’Eric Ciotti se sont joints au RN. Le programme de ce dernier prévoit la baisse de la TVA sur l’énergie et le carburant de 20% à 5,5%. Pour financer cette baisse il compte supprimer certaines niches financières, et réduire de 2 milliards d’euros la contribution financière de la France à l’Union européenne (UE). Il prévoit également de négocier avec l’UE un régime dérogatoire du marché de l’électricité, afin d’obtenir une baisse de 30% des factures d’électricité. Le RN ne réclame plus la sortie de la France de l’UE, mais appelle à la transformer en « Alliance européenne des nations » avec une forte diminution de ses compétences actuelles. Il propose également de réaffirmer la supériorité de la Constitution française sur les normes et juridictions européennes. Le parti d’extrême droite souhaite également transformer la Commission européenne en « Secrétariat général du Conseil », et qui n’aurait plus l’initiative législative qui reviendrait exclusivement au Conseil de l’Union européenne. D’autre part, les Etats membres de l’UE décideraient à l’unanimité plutôt qu’à la majorité qualifiée un plus grand nombre de domaines, notamment le commerce. Le RN souhaiterait transformer l’UE en « Europe des projets à la carte » avec certains domaines de coopération, tels que le contrôle des frontières avec l’agence Frontex, l’éducation avec Erasmus, l’aérospatial avec Ariane et Airbus, la défense, et l’intelligence artificielle.
Concernant l’immigration qui est le fonds de commerce du RN depuis ses débuts, ce dernier veut mettre fin à l’immigration de peuplement et au regroupement familial. Toutes les demandes du droit d’asile seront traitées uniquement à l’étranger. Les aides sociales seraient réservées aux Français, et conditionner cinq ans de travail en France l’accès aux prestations de solidarité. Il veut assurer la priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi. Il préconise également de supprimer l’autorisation de séjour pour tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France, et d’expulser systématiquement les clandestins et criminels étrangers. Il veut supprimer le droit du sol, et limiter l’accès à la nationalité à la seule naturalisation sur des critères de mérite et d’assimilation. Il préconise également d’éradiquer les idéologies islamistes et l’ensemble de leur réseau sur le territoire national. Il veut faire une priorité de la sécurité partout et pour tous. Enfin au niveau de l’espace Schengen, il veut réserver la libre circulation aux seuls ressortissants des pays membres de l’UE. Le RN rejette aussi le travail détaché qui permet à des salariés européens de travailler pendant une durée déterminée dans un autre Etat membre. Concernant l’Ukraine, le parti refuse l’adhésion de ce pays à l’Union européenne, comme aux autres neufs Etats européens candidats. Le RN veut également un moratoire sur la négociation de nouveaux Accords de libre-échange par l’UE. Il soutient l’Ukraine face à l’agression russe, mais avait préconisé avant la guerre un dialogue avec la Russie sur les grands dossiers communs. Rappelons que le Front national avait contracté un prêt auprès d’une banque russe en 2014, et que Marine Lepen a été reçue par le président Poutine au Kremlin le 24 Mars 2017. Concernant l’environnement, le RN se réclame d’une « écologie raisonnable » au niveau européen, et s’oppose au Pacte vert, la feuille de route environnementale de l’UE pour atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050. Refusant une « écologie punitive », le parti est contre l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves à partir de 2035.
Le second groupe qui pourrait gagner ces élections législatives françaises est le « Nouveau Front Populaire » (NFP) composé de la France insoumise, des socialistes, des écologistes, et des communistes. Son programme est guidé par deux maitres mots : pouvoir d’achat et paix. Le NFP souhaite l’abrogation de l’article 49.3 qui permet au gouvernement le passage en force d’un texte, et l’instauration de la proportionnelle aux élections. Il soutient l’idée de créer un Référendum d’initiative citoyenne. Le NFP souhaite annuler la hausse programmée du prix de gaz prévu pour le 1er Juillet 2024, et bloquer par décret les prix des biens de première nécessité dans l’alimentation et l’énergie (électricité, gaz, carburants). Il prévoit également une hausse du Smic à 2000 euros brut, l’indexation des salaires sur l’inflation, et une augmentation du point d’indice des fonctionnaires de 10 points. Le NFP souhaite une école gratuite avec une prise en charge de tous les frais annexes, dont la cantine et le transport scolaire. Il considère comme prioritaire l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage qui serait mise en place début Juillet. Le NFP évoque l’organisation d’une conférence nationale sur le travail, afin de débattre d’un passage aux 32 heures par semaine, ou la possibilité d’une sixième semaine de congé payé. Concernant l’agriculture, le NFP veut garantir un prix plancher et rémunérateur pour les producteurs, et une taxation des super-profits des agro-industries et de la grande distribution. Il prévoit également l’abrogation de la dernière réforme des retraites, et revenir à un départ à la retraite à 60 ans. Concernant la fiscalité, le bloc de gauche prévoit la révision de l’impôt sur le revenu avec la création de 14 tranches d’imposition pour plus de progressivité et de justice fiscale. Le NFP propose en outre la taxation des superprofits des entreprises, le rétablissement de l’impôt sur la fortune, le renforcement de « l’exit tax » qui impose les contribuables qui déménagent leur domicile fiscal hors de la France, enfin une importante réforme de l’impôt sur l’héritage avec l’instauration d’un « héritage maximum ». Sur le plan de la santé, le NFP propose une conférence sociale sur l’hôpital, et l’établissement d’un plan pluriannuel de recrutement des professionnels du soin, la lutte contre les déserts médicaux, la régulation du secteur pharmaceutique, et le lancement d’un plan «Grand âge ». Pour ce qui est de l’immigration, le NFP souhaite faciliter l’accès aux visas, régulariser les travailleurs, les étudiants et les parents d’enfants scolarisés. Le NFP prévoit également l’instauration d’une carte de séjour de 10 ans et créer un statut de « déplacé climatique ».
En politique étrangère le NFP conteste « le domaine réservé » accordé au président de la République. Il préconise un soutien indéfectible au peuple ukrainien, passant par la livraison d’armes supplémentaires, l’annulation de la dette extérieure de l’Ukraine, et l’envoi de casques bleus. Pour la guerre à Gaza, le NFP préconise un cessez-le-feu immédiat, une paix juste et durable, avec la libération des otages et des prisonniers palestiniens, et des sanctions contre le gouvernement de Netanyahu notamment l’embargo sur la livraison d’armes françaises à Israël. Le NFP apporte son soutien à la Cour pénale internationale, et appelle à une suspension de l’Accord d’Association entre l’UE et Israël. Enfin il préconise la reconnaissance de l’Etat palestinien.
Le troisième groupe intitulée « Ensemble pour la République » qui représente la majorité présidentielle est composé des partis « Renaissance » « Horizon » et « Modem ». Ce groupe marque son attachement à l’alliance Atlantique (OTAN) et à la dissuasion nucléaire, qui garantissent la souveraineté de la nation.
Le groupe se félicite de l’adhésion de deux nouveaux membres : la Finlande en 2023 et la Suède en 2024 face à la menace que fait peser la Russie sur leur sécurité depuis l’invasion de l’Ukraine. A l’heure actuelle, l’OTAN compte 32 Etats membres dont 23 appartiennent à l’Union européenne. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a poussé plusieurs Etats membres de l’UE à augmenter leurs dépenses militaires à 2% des PIB d’ici 2025 et 3% d’ici 2030. La France veut doubler d’ici 2030 le budget militaire de la nation. Concernant la guerre en Ukraine, la majorité présidentielle souhaite poursuivre son soutien militaire dans la durée. Elle fait part de sa volonté à « finaliser une coalition d’instructeurs militaires occidentaux en Ukraine ». Pour ce qui est de l’environnement « Ensemble pour la République » s’engage à baisser 55% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990. Elle s’engage également à respecter la « loi climat » entrée en vigueur en juillet 2021, dans le but d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. La majorité présidentielle est favorable à la mise en place d’un vaste plan d’investissement de 1000 milliards d’euros intitulé « Plan Europe 2030 », qui a pour but de compléter le Pacte Vert afin de parvenir à la neutralité carbone. La majorité présidentielle promet une baisse des factures d’électricité de 15% dès cet hiver, grâce à la réforme du marché européen de l’électricité. Concernant l’immigration, du fait de la réforme européenne du droit d’asile, « Ensemble pour la République » annonce l’ouverture de centres de rétention aux frontières extérieurs de l’Europe afin d’y examiner la situation des migrants avant leur arrivée en Europe. Cette évolution a été effectivement prévue par le Pacte européen sur la migration et l’asile définitivement adopté le 14 Mai 2024. La majorité présidentielle appelle également à une augmentation du nombre de garde-frontières et de gardes-côtes européens jusqu’à 30.000 pour appuyer les Etats membres dans les contrôles et les expulsions. La réforme européenne du droit d’asile va permettre le retour dans les pays d’origine de 200.000 migrants par an en situation irrégulière à l’échelle européenne. Cependant, elle prévoit également d’octroyer 100.000 visas prioritaires pour les métiers en tension, ainsi que pour les talents étrangers chercheurs et entrepreneurs. Sur les Accords de libre-échange la majorité présidentielle milite pour l’abandon de négociations européennes d’accords commerciaux avec les pays qui ne respectent pas les Accords de Paris sur le climat et de Montréal sur la bio-diversité.
Notre pays le Maroc a des relations très étroites tant avec l’Union européenne qu’avec la France. Le premier Accord commercial avec l’UE date de 1969 qui a été élargi en 1976. Un accord d’Association prévoyant une zone de libre-échange a été signé le 26 février 1996 et est entré en viguer le 1er Mars 2000. Enfin le Maroc a obtenu le Statut Avancé en 2008, qui lui permet de bénéficier de tous les avantages d’un pays membre sauf la participation à la gouvernance de l’Union. La France est également notre premier partenaire pour les investissements, et le second pour les échanges commerciaux, alors que la communauté marocaine qui vit en France est estimée à 1.500.000. Si la majorité présidentielle « Ensemble pour la République » gagne les élections législatives le 7 juillet prochain, il n’y aura aucun changement des relations du Maroc tant avec l’UE qu’avec la France. Par contre, la victoire du Rassemblement national à ces élections risque de perturber le fonctionnement de l’Union européenne, car les propositions du RN sont inacceptables pour les 26 autres pays membres. De plus, la ligne dure du RN concernant l’immigration risque de mettre mal à l’aise la communauté marocaine vivant en France, et les Marocains désirant obtenir un visa pour la France. Un élément positif pour notre pays serait la nomination d’Eric Ciotti à un poste ministériel dans le futur gouvernement présidé par le RN. On se rappelle en effet que ce dernier lors de sa visite au Maroc en Mai 2023 avait reconnu la marocanité du Sahara. Quant à une éventuelle victoire du nouveau Front populaire, elle présente l’avantage d’une politique migratoire humaniste, et d’une reconnaissance de l’Etat palestinien. Cependant les relations entre le Maroc et la gauche française au pouvoir n’ont pas été toujours très cordiales.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI