RĂ©Ă©lection de Donald Trump
Quel impact sur la politique étrangère des Etats-Unis ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Alors que les sondages indiquaient un vote coude à coude entre le candidat républicain Donald Trump, et la candidate démocrate Kamala Harris, les élections présidentielles américaines du 5 Novembre 2024 ont donné une victoire éclatante à Donald Trump. C’est ainsi qu’il a obtenu 301 grands délégués, dont notamment ceux des 7 Etats clés. A noter que pour gagner la présidence, il ne faut que 270 grands délégués sur les 538 composant le Collège électoral. Il a également gagné le vote populaire avec 74,2 Millions de votes, contrairement à l’élection de 2016. Il a réussi à obtenir 12% du vote afro-américain, et 45% du vote latino. En plus, le parti républicain a remporté la majorité au Sénat (53 républicains contre 46 démocrates), et espère garder la majorité à la Chambre des Représentants (au dimanche 10 Novembre 2024 : 212 républicains contre 200 démocrates). Donald Trump peut compter également sur les 6 juges conservateurs de la Cour suprême qui en compte 9 au total. Le Corps électoral élira officiellement Donald Trump président en Décembre 2024, et sera investi le 20 Janvier 2025. Aussi bien Kamala Harris que le Président Biden ont promis une transition fluide et pacifique.
Ces résultats peuvent s’expliquer du fait que Donald Trump a été soutenu par plusieurs milliardaires américains, dont Elon Musk patron de Tesla, Space X, et X (ancien Twitter), qui a dépensé 150 Millions de dollars pendant la campagne électorale. Donald Trump a surtout mis l’accent sur l’économie, la lutte contre l’inflation, et l’immigration illégale. Il a pu aussi en utilisant leur propre langage, convaincre les travailleurs blancs, noirs ou latinos, dont certains ont perdu leur emploi ou ont subi une baisse de leur pouvoir d’achat, du fait de l’inflation, de la mondialisation, et de l’immigration illégale. Malgré quatre inculpations et une condamnation au pénal, Donald Trump a gardé sa popularité, surtout après la tentative d’assassinat du 13 Juillet 2024 où il a été touché à l’oreille, et où il s’est comporté courageusement en se relevant et en levant le poing, après être tombé par terre.
L’échec de Kamala Harris peut s’expliquer par la brièveté de sa campagne électorale, qui n’a débuté que le 22 Août 2024 après le désistement de Joe Biden en sa faveur le 21 Juillet 2024. Elle a bénéficié au début de sa campagne d’un soutien financier important, et les sondages la portaient dans une meilleure position que Donald Trump. Cependant, elle s’est trop focalisée sur les critiques de Donald Trump, qu’elle a dépeint comme « un dictateur fasciste », et sur la défense des droits des femmes notamment l’avortement. Elle a négligé les thèmes économiques et migratoires qui étaient les principales préoccupations des électeurs, en perdant de vue les intérêts des classes populaires mécontentes de la présidence de Joe Biden. C’est ainsi qu’elle n’a pas eu le vote d’une grande partie des personnes défavorisées, et de la gauche de l’électorat démocrate favorable à la cause palestinienne.
Les résultats du 5 Novembre 2024 ont donné les pleins pouvoirs à Donald Trump. On peut se demander qu’elle sera sa politique étrangère ? Elle sera marquée par l’imprévisibilité, l’intérêt national américain renforcé par le slogan « America first », une politique transactionnelle du donnant donnant (deal en anglais), et la préférence aux accords bilatéraux plutôt que multilatéraux. Cependant, deux problématiques sont assurément prévisibles. La première est la lutte acharnée contre l’immigration clandestine, avec son projet de déportation de masse de 8 Millions d’immigrés illégaux, qui posera certainement de grands problèmes juridiques. La seconde mesure est de continuer la construction du mur séparant les Etats-Unis du Mexique. La deuxième problématique prévisible est la négation du changement climatique. Donald Trump et avant même son investiture, a déjà demandé de retirer les Etats-Unis de l’Accord de Paris, comme il l’avait fait pendant son premier mandat. Il compte enlever toutes les restrictions aux forages du pétrole et de gaz, et à l’exploitation des mines y compris le charbon. Il compte également supprimer toutes les mesures prises par l’Administration Biden pour lutter contre le changement climatique, notamment la réduction des gaz à effet de serre par les Etats-Unis.
Pour ce qui est de l’Ukraine, Donald Trump pendant sa campagne électorale avait dit qu’il réglerait « le problème de la guerre en 24 heures », sans indiquer comment ? Il n’est pas pensable qu’il puisse arrêter brutalement l’aide financière et militaire à l’Ukraine, car cela pourrait permettre la victoire de la Russie, ce qui n’est pas dans l’intérêt des Etats-Unis. Il a été félicité par le président Poutine, et Donald Trump envisage de lui parler par téléphone à propos de l’Ukraine. Cependant, le grand problème à résoudre pour parvenir à un cessez-le-feu est celui des territoires ukrainiens occupés par la Russie. Ni Zelenski, ni Poutine ne sont prêts à s’en dessaisir. En cas d’arrêt ou de réduction par les Etats-Unis de l’aide financière et militaire à l’Ukraine, est ce que l’Europe va prendre la relève ? Seuls les quelques mois à venir pourront nous éclairer sur l’évolution de la guerre en Ukraine.
Pour ce qui est du conflit Israélo-Palestinien, Donald Trump est pro-israélien. C’est lui pendant son premier mandat, qui a transféré l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, qu’il a reconnue comme capitale de l’Etat d’Israël. Il a reconnu la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan appartenant à la Syrie, et n’a pas condamné la colonisation israélienne de la Cisjordanie. Il a en outre lancé les Accords d’Abraham pour normaliser les relations diplomatiques entre Israël et les pays arabes. Netanyahou s’est empressé de saluer « le retour historique de Donald Trump à la Maison Blanche » et glorifié « la grande Alliance entre son pays et les Etats-Unis ». Est-ce que Trump va laisser faire à sa guise Israël, qui continue de tuer chaque jour des dizaines de Gazaouïs et de Libanais par ses frappes aériennes en toute impunité ? Où va-t-il chercher à obtenir un cessez-le-feu. Il va certainement renforcer les sanctions contre l’Iran, et peut être autorisé l’armée israélienne à attaquer les centrales nucléaires iraniennes. Autant de questions sans réponses pour le moment.
En ce qui concerne la Chine, Donald Trump a déjà annoncé l’augmentation des droits de douane de 60% pour les produits chinois importés aux Etats-Unis, ce qui va relancer une guerre commerciale entre les deux pays. Va-t-il rencontrer prochainement le président Xi-Jinping ? Un autre problème est celui de l’ile de Taiwan revendiquée par la Chine qu’elle considère faisant partie de son territoire national. Est-ce que les Etats-Unis vont défendre Taiwan si elle attaquée par la Chine ? La doctrine officielle des Etats-Unis est le statu-quo : pas de reconnaissance de l’indépendance de l’île, dans le cadre de la doctrine de l’ambigüité stratégique.
Pour ce qui de l’Europe, Donald Trump a annoncé qu’il augmenterait les droits de douane sur les produits importés aux Etats-Unis entre 10% et 20% pour tous les pays, y compris en provenance de l’Europe. Cette mesure va causer un préjudice appréciable aux exportations européennes, notamment celles de l’Allemagne pour ses exportations d’automobiles. Un autre problème avec l’Europe est celui de l’OTAN. Trump ayant déclaré dans le passé que les Etats-Unis ne défendraient pas les membres de l’OTAN qui ne participent pas suffisamment à l’effort de guerre, avec au moins un budget militaire de 2% du PIB. Pour répondre à ces menaces de Donald Trump, le Conseil européen qui s’est réuni à Budapest le 8 Novembre 2024, a adopté une Déclaration portant sur le nouveau pacte européen pour la compétitivité, et la création d’une base industrielle de défense européenne, pour moins dépendre de la protection américaine.
Les relations entre les Etats-Unis et l’Afrique, depuis l’Administration Clinton, ont été caractérisées par une série d’initiatives et de politiques visant à renforcer les échanges commerciaux, encourager les investissements, et promouvoir la coopération sous la maxime « Trade not Aid ». Le continent africain, du fait des ses ressources naturelles et son dividende démographique, attire la convoitise de toutes les grandes puissances et notamment de la Chine. Aussi, les diverses Administrations américaines ont multiplié les mesures en faveur de l’Afrique, ciblant le développement économique, politique, sanitaire et sécuritaire (Africom). Cependant, il faut reconnaitre que pendant son premier mandat, Donald Trump n’a pas montré un intérêt particulier pour l’Afrique, et a même qualifié les pays africains par un terme non valorisant. Il faut espérer que cet intérêt soit plus grand pendant son second mandat. Par contre, en ce qui concerne notre pays le Maroc, Donald Trump a reconnu la marocanité du Sahara le 10 Décembre 2020, en contrepartie du rétablissement des relations diplomatiques avec Israël dans le cadre des Accords d’Abraham. Il a promis l’installation d’un Consulat général des Etats-Unis dans les Provinces du Sud, qui n’a pas été réalisée par l’Administration Biden. On peut espérer que Donald Trump va respecter sa promesse et va encourager les investissements américains au Sahara marocain. En outre, les Etats-Unis organisent avec le Maroc et d’autres pays chaque année un vaste exercice militaire appelé « African Lion » qui comprend des phases terrestres, maritimes et aériennes. Certaines opérations en 2024 se sont déroulées au sud du Maroc près de la frontière algérienne.
En conclusion, la réélection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis va avoir des répercussions importantes sur le monde entier, étant donné que ce dernier pays est la première puissance économique et militaire de la planète, et au vu de la personnalité particulière du président réélu. Il est très difficile de faire des prévisions pour les quatre années à venir, et il faut s’attendre aussi bien à des bonnes qu’à des mauvaises surprises.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI