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La chute du régime syrien de Bachar Al-Assad
Causes et perspectives ?

Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)

Rappelons tout d’abord que Bachar Al-Assad a succédé à son père Hafez-Al Assad le 17 Juillet 2000 à la présidence de la Syrie. Il a exercé également les fonctions de secrétaire général du parti Baath qui épouse les idéologies du nationalisme arabe syrien laïc et socialiste. Au début de sa présidence il a libéralisé le régime sur le plan économique en passant du socialisme d’Etat au socialisme de Marché. Il a assoupli la laïcité, mais a conservé toutefois le fort nationalisme syrien et les liens unissant la Syrie avec l’Iran. Il a fait partie de l’axe de la résistance comprenant l’Iran, la Syrie, les milices armées pro-Iran, notamment le Jihad islamique, le Hamas, le Hezbollah, et les Houtis. Sur le plan confessionnel il a protégé les chrétiens et les sunnites, lui-même étant alaouite chiite. En 2011, suite au Printemps arabe il a réprimé les manifestants demandant plus de démocratie et de libertés, ce qui a déclenché la guerre civile. Pendant ce conflit, Bachar Al-Assad a procédé à des bombardements ciblés contre les populations civiles, a utilisé des armes chimiques, et a provoqué la mort sous la torture ou par pendaison de plusieurs dizaines de milliers d’opposants politiques. Ce qui lui a valu d’être accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Les interventions militaires de l’Iran et de la Russie lui ont permis cependant de rester au pouvoir. L’Iran se sert du territoire syrien pour acheminer des armes à ses proxy à Gaza et au Liban. La Russie a renforcé sa base navale à Tartous et sa base aérienne à Hmeimim, ce qui lui permet d’être présente en Méditerranée. Ces deux alliances ont permis à Bachar Al-Assad de reprendre et de conserver le pouvoir dans la majeure partie du pays. Il demeure cependant une figure très controversée, voir un paria pour une grande partie de la communauté internationale, en raison des exactions qui lui sont reprochées depuis le début du conflit.
Alors que le régime de Bachar Al-Assad semblait consolidé, ses deux alliés la Russie et l’Iran se sont affaiblis. La Russie a envahi l’Ukraine le 24 Février 2022, et a subi des pertes humaines et matérielles considérables. L’Iran s’est aussi affaibli lorsque le Hamas a attaqué Israël le 7 Octobre 2023, et que ce dernier pays à mené une contre-offensive brutale et sanglante contre Gaza et contre le Liban pour éradiquer le Hezbollah. C’est ce moment que le mouvement Hayat Tahrir Al Sham (HTS) a choisi pour mener un offensive éclair au nord-ouest de la Syrie, puis élargie au sud. HTS est un mouvement islamiste radical qui a rompu avec Al Qaida, et qui est dirigé par Abou Mohammed Al Jolani.
Ce Groupe est classé terroriste par les Etats-Unis, l’Union européenne et l’ONU, mais dont des factions sont soutenues par la Turquie. Début 2019, HTS a pris le contrôle de la majorité de la province d’Idleb (nord-ouest de la Syrie) et a créé un « Gouvernement du salut » qui contrôle l’économie d’Idleb et auquel la plupart des juges désignés sont fidèles. Il a commencé à mettre en place des structures de proto-gouvernance, en subventionnant le prix des produits alimentaires, et en stabilisant les secteurs bancaires et énergétiques. Mi-2023 le Chef de HTS a déclaré à un journaliste français que « Lui et son groupe ne sont plus engagés dans le Jihad international, et considèrent que cela n’apporte que destructions et échecs ». A Idleb qui est gouverné par HTS, les filles vont à l’école, et les femmes sont autorisées à conduire des voitures, et des gens peuvent fumer dans la rue. Cependant le HTS a glorifié les attaques du Hamas contre Israël le 7 Octobre 2023.
Le 27 Novembre 2024, l’offensive de HTS démarre avec l’attaque des territoires contrôlés par des forces loyalistes dans la province d’Alep. L’offensive par les rebelles soutenus par la Turquie, est lancée depuis Idleb. Les forces du régime répliquent par des frappes aériennes faisant 141 morts. Le lendemain, les groupes armés coupent la route vitale reliant Damas à Alep, et prennent trois villages tenus par le régime dans les provinces d’Alep et d’Idleb. Le bilan des combats dépasse 200 morts. Le 1er Décembre, les rebelles prennent le contrôle d’Alep. Des avions syriens et russes bombardent des secteurs rebelles du nord-ouest de la Syrie et tuent 11 personnes. Le 5 Décembre, les rebelles prennent la ville de Hama, et le 7 Décembre la ville de Homs et libèrent 3500 détenus de la prison.
Dans la nuit du 7 au 8 Décembre les rebelles s’emparent de Damas et de la prison de Saidnaya, symbole des pires exactions du régime. Entre temps, Bachar Al-Assad a quitté la Syrie en avion pour la Russie après vingt quatre années au pouvoir. Le Premier ministre syrien Mohamed Al-Jalali se dit prêt à coopérer avec « tout leadership que choisira le peuple syrien ».
Après la prise de Damas, les réactions des pays étrangers ne se sont pas fait attendre. La Russie a indiqué que Bachar Al-Assad « a démissionné et a quitté le pays, après avoir donné des ordres pour qu’une transition pacifique puisse avoir lieu ». L’Iran a émis le vœu de poursuivre des relations amicales avec la Syrie. L’Union européenne a mis en exergue la faiblesse des soutiens russes et iraniens. La France salue « la chute du régime après plus de 13 ans d’une répression d’une grande violence contre son propre peuple », tandis que le président Macron affirme « que l’Etat de barbarie est tombé ». La Turquie qui a reconnu que « le pouvoir dans le pays a changé de mains, et que la Syrie doit bénéficier de l’unité et de la sécurité ». La Jordanie a déclaré qu’il faut « respecter le choix des Syriens et appelle à éviter le chaos ». L’Ukraine de son côté a fait savoir « les dictateurs qui ont parié sur Poutine sont voués à la chute ». Les Talibans ont félicité le peuple et les rebelles syriens, tandis que l’Irak a déclaré qu’il faut respecter la volonté du peuple syrien. Israël a indiqué qu’il va prendre le contrôle de la zone tampon du Golan. Enfin Donald Trump le président élu des Etats-Unis a dit « Ne nous en mêlons pas », tandis que le président en exercice Joe Biden a ordonné de bombarder des enclaves islamistes au centre de la Syrie. C’est une situation bizarre du fait que la Constitution américaine fixe un délai de 65 jours entre la proclamation des résultats (5 Novembre 2024) et la prise du pouvoir officielle (20 Janvier 2025).
Ce délai avait été fixé lorsque les transports se faisaient par diligence, alors que maintenant ils peuvent se faire par avion. Il serait urgent de corriger cette anomalie dans la Constitution américaine pour que le Président élu puisse prendre ses fonctions immédiatement après son élection, comme cela se fait en Europe et dans la plupart des pays.

En conclusion, le régime de Bachar Al-Assad a échoué parce qu’il n’a pas voulu répondre aux manifestants du Printemps arabe qui demandaient plus de démocratie et de libertés. Au contraire il les a réprimés, en ordonnant les pires exactions pour ses opposants politiques. La deuxième cause est l’affaiblissement de ses protecteurs la Russie du fait de la guerre en Ukraine, et l’Iran au fait de l’affaiblissement de ses proxy le Hamas et le Hezbollah. Quant à l’avenir de la Syrie, deux scénarios sont possibles : saisir l’opportunité pour établir une paix durable sous l’égide de l’ONU. Le second scénario serait la poursuite de l’instabilité et du chaos à l’instar de l’Irak et de la Libye, ou de la prise de contrôle du pays par un général syrien à l’instar de l’Egypte.

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