Pour la reconstruction de l’Etat syrien
Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Sous mandat français de 1920 à 1946, la Syrie a fait partie avec l’Egypte de la République arabe unie de 1958 à 1961, avant que Hafez el-Assad appartenant à la minorité alaouite chiite et ministre de défense, ne prenne le pouvoir en 1970 par un coup d’Etat. Son régime fortement autoritaire, structuré autour d’un parti unique le Baas, met en place un contrôle strict de l’ensemble de la vie politique syrienne. A sa mort en 2000, son fils Bachar el-Assad lui succède et maintient le régime autoritaire instauré par son père. Suite au déclenchement du Printemps arabe début 2011, demandant plus de démocratie et de libertés, Bachar el-Assad répond par une répression féroce qui entraine une guerre civile sanglante. De 2011 à 2016, le conflit a fait près de 500.000 morts et deux millions de blessés. Le régime de Bachar el-Assad était soutenu par l’Iran chiite, et par la Russie qui a obtenu deux bases en Syrie, maritime à Tartous et aérienne à Hmeimim. Le 8 Décembre 2024, le régime des Assad prend fin avec la fuite de Bachar el-Assad en Russie et la reddition de son gouvernement aux forces rebelles.
Les rebelles sous la direction de Abou Mohammed Al-Joulani qui est sunnite, a déclenché depuis son fief de Idleb une offensive militaire le 27 Novembre 2024, qui a permis la prise d’Alep le 1er Décembre, Hama le 5 Décembre, Homs le 7 Décembre et Damas le 8 Décembre. Al-Joulani de son vrai nom Ahmed Al Sharaa appartient au mouvement Hayat Tahrir al Sham (HTS) qui a rompu avec la branche syrienne d’el Qaida, le Front Al Nosra. La victoire éclair des rebelles s’explique par la faiblesse de l’armée syrienne de Bachar el-Assad, peu motivée et mal équipée. Elle s’explique aussi par l’absence de soutien de la Russie très engagée dans la guerre en Ukraine, et qui ne peut pas faire face à deux conflits armés en même temps. Il en est de même de l’Iran qui a été affaibli par la quasi disparition de ses proxy : le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban et les Houtis au Yémen, du fait de la réponse fulgurante d’Israël suite à l’attaque du Hamas le 7 Octobre 2023.
Le nouveau pouvoir des rebelles en Syrie pour asseoir son autorité, a fait plusieurs déclarations pour calmer les craintes de la communauté internationale et notamment l’Occident. C’est ainsi que Ahmed Al Sharaa a changé son style vestimentaire et raccourci sa barbe. Il a en outre déclaré « Personne n’a le droit d’effacer un autre groupe. Ces groupes coexistent dans cette région depuis des centaines d’années, et personne n’a le droit de les éliminer ». Il a fait allusion principalement aux musulmans sunnites et chiites, les chrétiens, les druzes, et les kurdes. Le Chef rebelle a encore déclaré « A l’avenir la Syrie sera fondée sur l’unité, le nationalisme et la paix, elle ne deviendra pas l’Afghanistan en ce qui concerne l’éducation des filles ». De son côté, l’Envoyé de l’ONU pour la Syrie Gier Pederson qui a rencontré Al Sharaa le 16 Décembre 2024, a indiqué que la transition politique en Syrie doit être crédible et inclusive, en attendant l’élaboration d’une nouvelle Constitution, et que les élections doivent être libres et équitables. Il a en outre ajouté que l’ONU est prête à assister les nouveaux dirigeants sur le plan institutionnel, et qu’il faut accorder à la Syrie une aide humanitaire et mettre fin aux sanctions.
Sur le plan pratique et afin de ramener la Syrie à une vie normale, les nouveaux dirigeants ont rouvert le trafic aérien et les écoles, et ont rétabli les services sociaux. Ils ont en outre pris le contrôle de l’armée et de la police. C’est ainsi qu’ils ont créé un Centre de réconciliation à Lattaquié, où les soldats et officiers de l’ancien régime ont déposé leurs armes, et ont reçu une nouvelle carte d’identité pour circuler librement pendant trois mois. Une amnistie sera accordée aux soldats et officiers qui n’ont pas participé à la torture et au meurtre de civils. De même, tous les policiers de l’ancien régime ont été remplacés et leurs armes récupérées. Sur le plan institutionnel, ils n’ont pas arrêté le premier ministre de l’ancien régime Mohamed Ghazi Al-Jalali, et ils lui ont demandé de contribuer à la transition politique. Le 9 Décembre 2021, les nouveaux dirigeants ont nommé un premier ministre Mohamed Al-Bachir et l’ont changé de constituer un nouveau gouvernement qui exercera ses fonctions jusqu’au 1er Mars 2025. Ils ont nommé également un ministre des affaires étrangères Assad Hassan el-Chibani, et un ministre de la défense Abou Hassan al Hamwi. Tous les autres départements ont été pourvus, notamment un ministère de l’électricité.
La réaction de la communauté internationale a été positive. C’est ainsi que des délégations de haut niveau ont été envoyées à Damas pour prendre contact avec le nouveau gouvernement émanant des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Turquie. Les Etats-Unis ont en outre supprimé la mise à prix d’Abou Mohammed Al-Joulani. Le parti turc AKP a émis le vœu de l’instauration d’un modèle respectueux de la liberté religieuse, a appelé à l’unité de la Syrie, et a affirmé que les sunnites doivent respecter les chiites, et les chiites doivent respecter les sunnites. La minorité alaouite a cependant manifesté des craintes, tandis que les kurdes s’inquiètent d’une position négative à leur égard de la part des nouveaux dirigeants qui ont été soutenus par la Turquie. Ce dernier pays a l’obsession de la création d’une entité kurde au Nord-Est de la Syrie, puisqu’il combat depuis 40 ans le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) qui souhaite également créer une entité kurde autonome en Turquie. Les kurdes craignent également la prise de fonctions de Donald Trump, qui risque de supprimer l’aide militaire aux kurdes accordée par l’Administration Biden. Quant à la Russie, elle tente de prendre contact avec les nouveaux dirigeants de la Syrie, afin de maintenir ses bases en Syrie qui sont très importantes pour sa politique au Moyen-Orient et en Afrique.
En conclusion, il faut aider les nouveaux dirigeants de la Syrie à reconstruire leur Etat afin de promouvoir la paix dans la région du Moyen-Orient. Le rôle de l’ONU est très important pour la mise en place des institutions politiques. Les grandes puissances doivent apporter leur aide matérielle au nouveau pouvoir, et Israël doit cesser ses attaques aériennes contre la Syrie, et évacuer la zone tampon qu’il n’a pas le droit d’occuper. Il faut aussi accorder un statut d’autonomie aux kurdes dans le Nord-Est de la Syrie à l’instar de la Catalogne en Espagne. Cependant le délai de 3 mois accordé au nouveau gouvernement est trop court, car il faut au moins une année pour mettre en œuvre une transition réussie.
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