Election d’un nouveau Président au Liban
Pour la reconstruction de ce pays martyr
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Sous mandat français octroyé par la société des Nations après la fin de la première guerre mondiale, la France a créé en 1920 le Grand Liban. En 1926, le Liban adopte sa première Constitution et devient officiellement une République. Son histoire, son système politique, sa culture, sa démographie religieuse, et sa géographie, en font un pays original et un cas d’Ecole. Le Liban déclare son indépendance vis-à -vis de la France le 22 Novembre 1943, et connait jusqu’à 1975 une période de prospérité économique et de stabilité politique. Son économie connait en effet une forte croissance grâce au tourisme, à l’agriculture, aux services, et à la finance. Le pays est considéré pendant cette période comme « le Coffre-fort du Levant » et la « Suisse du Moyen-Orient ».
Cependant de 1975 à 1990, il connait une guerre civile interconfessionnelle qui le ravage politiquement et économiquement. Immédiatement après la fin de la guerre civile en 1990, de grands efforts sont faits pour reconstruire les infrastructures et une économie viable, grâce à des investissements colossaux de l’Etat, de l’Arabie saoudite, de l’Union européenne et des pays du Golfe. En 2006, le pays atteint une stabilité élevée et la reconstruction de Beyrouth entre dans une phase intensive. La capitale du Liban est alors citée comme le « Paris du Moyen-Orient » et en 2009, Beyrouth est classée comme « première ville à visiter ». Cependant l’été 2006, dans le cadre du conflit israélo-arabe, Israël entre en guerre avec le Liban contre le parti Hezbollah qui est un parti politique et un groupe paramilitaire islamiste chiite libanais. Cette guerre met un terme à l’afflux touristique et entraine un ralentissement économique.
En 2005, la deuxième république libanaise connait une grande instabilité politique et plusieurs crises en 2008 et en 2014-2016 avant l’élection du président Michel Aoun. Le malheur n’arrivant jamais seul, deux violentes explosions surviennent le 4 Août 2020 dans le Port de Beyrouth faisant plus de 200 morts et 6.500 blessés, avec une perte de logement pour 300.000 habitants. Ces explosions détruisent complètement le Port de Beyrouth ainsi que plusieurs quartiers du voisinage. Le Liban connait depuis 2018 une crise économique grave, ou plus de 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté en 2022, avec la perte en valeur de 95% de la livre libanaise en trois ans, et une baisse de 9,5% du PIB en 2021. En Octobre 2023, la guerre Israël-Hamas s’étend au Liban après que le Hezbollah ait annoncé le soutien à Hamas jusqu’à l’obtention du cessez-le-feu à Gaza. Des affrontements frontaliers entre Israël et le Hezbollah ont eu lieu, et deviennent particulièrement meurtriers au Liban à partir de Septembre 2024. Enfin le 26 Novembre 2024 un accord de cessez-le-feu a été signé entre Israël et le Liban.
Pour expliquer les événements du Liban, il faut revenir à son régime politique. C’est une démocratie parlementaire, mais son fonctionnement est confessionnel. La Constitution du 23 Mai 1926 et le Pacte national qui a été modifié plusieurs fois, organise le partage du pouvoir entre les différentes communautés religieuses. Il prévoit que le Président doit être chrétien maronite, élu par le Parlement à la majorité des deux tiers pour un mandat de 6 ans. Le Premier ministre doit être musulman sunnite et responsable devant les députés. Le Président de l’Assemblée nationale doit être musulman chiite. Le Vice-premier ministre et le porte-parole du gouvernement doivent être des chrétiens orthodoxes. L’Assemblée nationale comporte 128 sièges, repartis entre chrétiens et musulmans, et élus selon le suffrage universel direct. La classe politique libanaise qui compte pas moins de 18 partis politiques, comprend l’Alliance du 14 Mars qui représente la minorité parlementaire appuyée par l’Occident. Elle comprend le Courant du futur dirigé par le député sunnite Saad Hariri, les Forces libanaises dirigées par Samir Gegea chrétien maronite, ainsi que les Phalanges libanaises dirigées par Amine Gemayel chrétien maronite.
La majorité actuelle est regroupée autour du Bloc du changement de la réforme présidé par le général chrétien Michel Aoun, du tandem chiite Hezbollah-Amal, et de la coalition Mikati-Sleiman-Joumblat. Le Liban est composé d’une dizaine de communautés religieuses, et les tensions entre les communautés ont marqué l’histoire du Liban contemporain. Les trois communautés majoritaires sont les sunnites, les chiites, et les maronites. La question des réfugiés palestiniens au nombre de 455.000 est une source de tension intercommunautaires. Les chrétiens et les musulmans chiites s’opposent à leur accorder la nationalité libanaise. Les sunnites y sont favorables et défendent la cause palestinienne. Quant au Hezbollah, il défend le droit au retour des Palestiniens. Un nouvel afflux de 1,5 million de personnes, majoritairement sunnites, sont venus de Syrie depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011.
C’est dans ces circonstances que le Parlement libanais s’est réuni le 9 Janvier 2025 pour élire un nouveau président, suite à une impasse politique de deux ans, pendant laquelle il n’a pas pu élire un président. Finalement, le Parlement est parvenu à élire Joseph Aoun actuel commandant de l’armée libanaise. Au premier tour le nouveau président n’a obtenu que 71 voix sur 128, alors que la majorité requise est des deux tiers. Au deuxième jour du scrutin, Joseph Aoun a obtenu 99 voix et a prêté serment. Les Etats-Unis et l’Arabie saoudite ont fait pression sur les députés pour obtenir cette décision. Le nouveau président a déclaré « Aujourd’hui commence une nouvelle ère dans l’histoire du Liban ». Il s’est engagé à des consultations rapides pour nommer un Premier ministre et former le gouvernement. Il a promis de respecter l’accord de trêve avec Israël, et assuré que l’Etat aura désormais le monopôle des armes. Plusieurs organisations et pays ont salué favorablement cette élection : ONU, Union-européenne, Etats-Unis, France, Espagne, Qatar et Israël. La tâche du Président Joseph Aoun est immense : restaurer la confiance internationale, relancer l’économie, reconstruire le Sud du Pays dévasté par 14 mois du conflit entre le Hezbollah et Israël.
En conclusion, on ne peut que souhaiter la paix et la prospérité à ce petit pays qui connait des problèmes immenses du fait de son histoire et de sa géographie. Une leçon à retenir : ne jamais permettre à une parti politique de s’armer, l’armée nationale est obligatoirement la seule organisation à disposer des armes sous le commandement du Chef de l’Etat.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI