Projet de Nouvelle Constitution Marocaine
La meilleure proposition au vu de l’état actuel de la société
Par Jawad Kerdoudi Président de l’IMRI
(Institut Marocaine des Relations Internationales)
Les deux axes qui prédominent dans le projet de la nouvelle Constitution marocaine annoncé par le Roi le 17 Juin 2011, sont l’équilibre et la séparation des pouvoirs. On trouve la notion d’équilibre dans pratiquement tous les domaines. Sur le plan religieux, certes la religion de l’Etat est l’Islam, mais il est prévu également la garantie du libre exercice des cultes. Sur le problème de la langue outre la langue arabe, a été reconnue également l’Amazigh comme langue officielle, sans oublier les autres expressions linguistiques et culturelles comme le Hassani dans les provinces sahariennes, tandis qu’une place a également été accordée aux langues étrangères. Un grand intérêt a été donné dans la nouvelle Constitution aux droits de l’Homme dans toutes ses composantes, avec une insistance particulière sur l’égalité hommes/femmes.
On retrouve la même notion d’équilibre dans le pouvoir exécutif qui est confié au Chef de gouvernement, issu des élections et donc du suffrage universel. Tous les pouvoirs de gestion courante sont accordés au Conseil de gouvernement, qui est constitutionnalisé et présidé par le Chef de gouvernement. C’est ce dernier qui propose au Roi la nomination des Ministres, de même qu’il peut mettre fin à leurs fonctions. Chargé de conduire et de coordonner l’action gouvernementale et de superviser l’administration, il a compétence de nommer à certains postes civils. Il a également le pouvoir de dissoudre la Chambre des Représentants, et donc de provoquer des élections anticipées. Le Roi bénéfice de son côté de pouvoirs significatifs. Amir Al Mouminine, tout le domaine religieux lui est réservé, de même que le pouvoir militaire en tant que Chef suprême des Forces Armées Royales et Chef d’Etat-Major. Il préside le Conseil des Ministres à son initiative, ou à celle de Chef du gouvernement, lequel Conseil dispose des compétences stratégiques d’arbitrage et d’orientation. Le Roi nomme également en Conseil des Ministres, sur proposition de Chef de gouvernement, à certaines hautes fonctions publiques telles que le Wali de Bank Al Maghrib, les walis, gouverneurs, ambassadeurs et les responsables de la sécurité intérieure et des institutions nationales stratégiques. Le Roi peut également, après consultation du Chef de gouvernement, dissoudre le Parlement, et déclarer l’état d’exception. Il peut enfin déléguer la présidence du Conseil des Ministres au Chef de Gouvernement sur la base d’un ordre du jour déterminé, et mettre fin après consultation du Chef de gouvernement, aux fonctions d’un ou de plusieurs membres du gouvernement.
La séparation des pouvoirs est consacrée par le fait que le projet de la nouvelle Constitution octroie au Parlement le pouvoir exclusif de législation et d’édiction de toutes les lois. Il consacre la prééminence du statut de la Chambre des Représentants, et renforce ses attributions en matière de contrôle du gouvernement. C’est ainsi que le gouvernement est responsable exclusivement vis-à-vis de la Chambre des Représentants, et que le domaine de la loi est élargi de 30 à 60 matières. Le projet de Constitution énonce également l’interdiction de la transhumance parlementaire. Il limite l’immunité parlementaire, et supprime la Haute Cour qui était réservée aux ministres. La deuxième Chambre a été réduite dans sa composition à un chiffre compris entre 90 et 120 membres. Elle sera composée de représentants des collectivités locales, des syndicats, des organisations professionnelles, et des instances patronales. Le projet de Constitution prévoit également une représentation parlementaire aux Résidents marocains à l’étranger, avec le droit de voter et de se porter candidat dans les deux Chambres du Parlement.
La notion d’équilibre revient à nouveau avec les droits accordés à l’opposition qui bénéficiera d’une représentation proportionnelle dans tous les organes du Parlement et de la présidence d’au moins une Commission parlementaire. De même qu’il est prévu que le Chef de gouvernement présente régulièrement des exposés d’étape sur l’action gouvernementale. Enfin, ont été réduites les règles du quorum requis pour présenter une motion de censure, former des commissions d’enquête, ou renvoyer des projets de loi devant le Conseil constitutionnel. Les Commissions parlementaires auront le droit d’interpeller les représentants des administrations et des entreprises publiques.
Autre élément de la séparation des pouvoirs : le pouvoir judiciaire qui est érigé en pouvoir indépendant des pouvoirs exécutif et législatif. Pour conforter cette indépendance, le projet de Constitution prévoit que les jugements des tribunaux seront prononcés au nom du Roi et en vertu de la loi. A été prévue la pénalisation constitutionnelle de toute influence de l’autorité, de l’argent, ou toute autre forme de pression dans les affaires de justice. Dans le même sens, le projet de Constitution prévoit la création d’un Conseil supérieur de pouvoir judiciaire, qui bénéficiera de l’autorité administrative et financière. Le Conseil présidé par le Roi, aura comme Président-délégué un magistrat, à savoir le Président de la Cour de cassation en lieu et place du Ministre de la justice. La composition de ce Conseil a été également revue en augmentant le nombre des magistrats élus et le pourcentage de représentation des femmes juges, ainsi que l’ouverture du Conseil à des personnalités et institutions ayant un rapport avec les droits de l’Homme et la défense de l’indépendance de la justice. Les compétences du Conseil seront également élargies, outre le suivi de la carrière professionnelle des magistrats, aux missions d’inspection, et à l’évaluation des textes législatifs et du système judiciaire dans son ensemble. Sur un autre plan, le projet de Constitution prévoit le remplacement du Conseil constitutionnel par une Cour constitutionnelle. Cette dernière verra ses pouvoirs s’élargir outre l’examen de la constitutionalité des lois, au contrôle constitutionnel des conventions internationales, et le droit de trancher les litiges entre l’Etat et les régions. La Cour constitutionnelle aura également comme compétence de se prononcer sur les recours des judiciables invoquant l’inconstitutionnalité d’une loi.
Autre élément d’équilibre des pouvoirs, est la constitutionnalisation d’un certain nombre d’institutions fondamentales tels que l’Institution « Al Wassit » (Modérateur), le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle. Le Conseil économique et social verra ses prérogatives s’élargir aux questions environnementales, tandis que celui de l’Education s’élargira à la formation et la recherche scientifique. Seront constitutionalisés également le Conseil des droits de l’homme, le Conseil de la jeunesse et de l’action associative, le Conseil de la concurrence et l’Instance nationale de la probité et de la lutte contre la corruption. Enfin sera renforcé le rôle de la Cour des comptes, et créé le Conseil supérieur de sécurité. Ce dernier Conseil sera présidé par le Roi, et sera composé des chefs de pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, les ministres, ainsi que les responsables et personnalités concernées par la sécurité intérieure et extérieure du pays. On peut considérer également comme un élément d’équilibre entre le pouvoir central et les régions, les principes inscrits dans le projet de Constitution d’une régionalisation avancée vouée à la démocratie, et dédiée au développement humain durable et intégré, dans le cadre de l’unité de l’Etat et de la Nation.
En conclusion, on peut considérer le projet de nouvelle Constitution comme la meilleure proposition au vu de la situation actuelle de notre société. C‘est pour cela, qu’il est souhaitable qu’il soit adopté à un large majorité lors de référendum du 1er Juillet 2011. On peut également indiquer que le Maroc a connu une « révolution douce », dans la continuité et sans violences et effusion de sang. C’est un exemple pour les autres pays Arabes. D’ailleurs ce projet de nouvelle Constitution a été accueilli très favorablement dans le monde aussi bien en Europe qu’en Amérique. Certes, ce n’est pas une monarchie parlementaire à proprement dit, dans la mesure où le Roi garde des pouvoirs significatifs dans l’exécutif. D’autre part, il est anormal dans une monarchie parlementaire que le Roi ait la possibilité de mettre fin individuellement aux fonctions d’un ou de plusieurs ministres. Mais l’état de la société marocaine en général, et notamment la situation actuelle des partis politiques, nécessitent des garde-fous pour éviter toute aventure. D’ailleurs la difficulté sera déjà de mettre en pratique l’actuelle proposition de Constitution, qui nécessitera un effort gigantesque des responsables administratifs, des partis politiques, des syndicats et de la société civile. Rien n’empêchera, et au vu des progrès réalisés, d’envisager une nouvelle révision de la Constitution dans cinq à dix ans, afin d’aboutir à une monarchie parlementaire plus parfaite.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI