La guerre commerciale déclenchée par Donald Trump
Quel impact sur l’économie mondiale et sur le Maroc ?
Par Jawad KERDOUDI Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)
Le 2 Avril 2025, le Président américain Donald Trump a annoncé de nouveaux droits de douane. Tout d’abord tous les produits importés aux Etats-Unis subiront des droits de douane de 10% à compter du 5 Avril 2025. Auparavant, Donald Trump avait fixé des droits de douane de 25% pour l’acier, l’aluminium, et les véhicules automobiles. Les nouveaux droits de douane seront appliqués à partir du 9 Avril 2025 et concerneront tous les pays. Donald Trump a qualifié le 2 Avril 2025 « Jour de libération », car selon lui, les Etats-Unis ont été escroqués par des pays et des entreprises depuis de nombreuses années. Les objectifs de cette forte augmentation des droits de douane selon le Président américain sont la réduction du déficit commercial des Etats-Unis qui s’est élevé en 2024 à 1203 milliards de dollars. Il s’agit également de relocaliser sur le sol américain les entreprises américaines et étrangères qui exportent sur les Etats-Unis, dans le but de réindustrialisation du pays et de créer des emplois. Enfin, ces augmentations de droit de douane vont doper les recettes de l’Etat américain, et permettre de diminuer le déficit budgétaire et les impôts. Ces augmentations de droits de douane unilatérales sont contraires au droit international et aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ainsi qu’aux Accords de libre-échange signés par les Etats-Unis avec de nombreux pays. Elles ne respectent pas non plus le principe de non-discrimination puisqu’elles diffèrent d’un pays à l’autre.
La formule utilisée par Donald Trump basée sur la réciprocité et qui est inédite à ce jour, consiste à diviser le déficit commercial bilatéral des Etats-Unis avec un pays donné, par la valeur des importations en provenance de ce pays, puis à diviser le résultat par deux. Cette approche a été critiquée par des économistes qui la jugent simpliste et préjudiciable aux relations commerciales internationales. Ils estiment que cette méthode ne tient pas compte de la complexité des chaines d’approvisionnement mondiales, et risque de déclencher des mesures de rétorsion de la part des partenaires commerciaux des Etats-Unis. Cette formule aboutit à des droits de douane vertigineux inconnus depuis les années 1930. On peut citer à titre exemple 54% pour la Chine, 49% pour le Cambodge, 46% pour le Vietnam, 44% pour le Sri Lanka. Même les alliés des Etats-Unis ne sont pas épargnés : 32% pour Taïwan, 31% pour la Suisse, 25% pour la Corée du Sud, 50% pour Saint Pierre et Miquelon, 24% pour le Japon et 20% pour les pays de l’Union Européenne. Quant aux pays de l’Afrique, Donald Trump a supprimé l’AGOA (African Growth and Opportunity Act) adopté par le Congrès américain en 2000 sous la présidence de Bill Clinton. Cet Accord exonère de droits de douane aux Etats-Unis des milliers de produits fabriqués dans l’Afrique Subsaharienne. Si la plupart des pays africains ne sont taxés qu’à 10%, d’autres vont subir des droits de douane prohibitifs tels que 47% pour Madagascar, 32% pour l’Angola, 31% pour la Libye, 30% pour l’Algérie et l’Afrique du Sud, 28% pour la Tunisie. Enfin certains pays Arabes, vont subir des droits de douane élevés : 41% pour la Syrie, 39% pour l’Irak et 20% pour la Jordanie.
Notre pays le Maroc a été relativement épargné puisque les droits de douane ont été fixés à 10%, et cela malgré un Accord de libre-échange signé 2006, et qui prévoit l’exonération des droits de douane. L’explication vient du fait que la TVA de 20% est assimilée à un droit de douane, et divisée par 2, pour aboutir à un taux de droits de douane de 10%. Les exportations du Maroc sur les Etats-Unis ne représentent que 3% des exportations totales pour une valeur de 12,65 milliards de dirhams. Elles sont constituées principalement des engrais phosphatés, les poissons et crustacés, les légumes et fruits, les composants électroniques, les semi-conducteurs, les machines et appareils électriques, les pièces automobiles et aéronautiques et les produits artisanaux. Les importations du Maroc en provenance des Etats-Unis représentent 8,4% de nos importations totales soit 60,31 milliards de dirhams. Les importations marocaines en provenance des Etats-Unis sont constituées de pétrole brut, de produits médicaux et pharmaceutiques, de moteurs, d’avions et équipements associés, et de gaz naturel. Cependant, comme pour tous les autres pays, l’exportation de véhicules automobiles marocains sur les Etats-Unis sera imposée à 25%.
Aussi, le nouveau taux de 10% de droits de douane sur les exportations marocaines sur les Etats-Unis n’aura qu’un faible impact. Cette nouvelle donnée peut ouvrir des opportunités pour le Maroc, dans la mesure où nos produits exportés ne seront taxés qu’à 10%, alors que par exemple les produits concurrents de l’Union européenne seront imposés à 20%. Cette nouvelle situation peut aussi attirer des investissements au Maroc de la part de la Chine et de l’Union européenne, pour bénéficier du droit de 10% aux Etats-Unis.
Cette décision de Donald Trump a immédiatement eu un effet négatif sur les bourses mondiales : la bourse de l’Argentine a baissé de 7%, celle de Milan de 6,53%, Wall Street de 6%, Francfort et Londres de 4,95%, le Mexique de 4,8% et le Cac. 40 de 4,6%. A noter aussi que le prix du pétrole est descendu à moins de 60 $ le baril, soit la baisse la plus importante depuis 2021. Les autres effets de cette décision, c’est l’augmentation des prix aux Etats-Unis et donc de l’inflation, la réduction du commerce international et de la croissance mondiale, et peut aboutir aussi une récession. D’ailleurs le président de la FED (Banque Centrale Américaine) Mr Jerome Powell a déclaré le 4 Avril 2025 que l’augmentation des droits de douane risque de se traduire par moins de croissance, plus d’inflation et plus de chômage, et refuse de baisser le taux directeur comme le demande Donald Trump. Il faut noter que la dette américaine en 2024 est de 35.294 milliards de dollars pour un PIB de 29.167 milliards de dollars soit un taux de 121%.
La réaction des pays touchés par la décision de Donald Trump d’augmenter les droits de douane a été très mal perçue partout dans le monde. La Chine a décidé d’imposer immédiatement des droits de douane de 34% aux produits importés des Etats-Unis. La présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a déclaré que la décision de la Maison Blanche porte un « coup dur » à l’économie mondiale, estimant que les conséquences seront « désastreuses pour des millions de personnes et particulièrement les plus vulnérables ». Elle a annoncé que l’Union européenne travaille déjà à « un nouveau paquet de contre-mesures ». Elle a enfin appelé les Etats-Unis à passer de la confrontation à la négociation. Le ministre japonais du commerce a qualifié « d’extrêmement regrettables » les nouvelles taxes douanières américaines, tandis que le Premier ministre japonais a demandé une exonération de droits de douane, étant donné que le Japon est le premier investisseur étranger aux Etats-Unis.
En conclusion, on ne peut que regretter ces mesures prises par le Président américain d’une façon unilatérale et sans aucune concertation, et dans le non-respect du droit international et des organisations internationales. Elles peuvent créer une crise économique mondiale avec de fortes répercussions notamment sur les pays émergents et en développement. Déjà , des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes américaines reprochant à Donald Trump son régime autoritaire, l’isolement des Etats-Unis par la suppression de l’USAID, le licenciement de milliers de fonctionnaires de l’Administration fédérale. Espérons qu’il revienne à la concertation et à la négociation avec les principaux partenaires des Etats-Unis. Déjà 50 pays ont demandé de négocier avec lui le niveau de l’augmentation des droits de douane.
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI