Le Traité de Lisbonne
Une gouvernance européenne multicéphale
Par Jawad Kerdoudi Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relation Internationales)
Pour parfaire la construction européenne, le Président Valéry Giscard d’Estaing avait entamé dès 2002 les négociations qui devaient aboutir en 2004 au Traité établissant une constitution pour l’Europe. Cependant, le Traité n’a pas été ratifié par la France et les Pays-Bas en 2005, et a donné lieu à la négociation d’un nouveau Traité, signé à Lisbonne en 2007, et finalement ratifié par tous les Etats de l’Union européenne le 10 Octobre 2009. Le Traité de Lisbonne doit entrer en vigueur le 1er Décembre 2009. Parmi les dispositions principales du Traité de Lisbonne figure la désignation du Président du Conseil européen pour un mandat de deux ans et demi, et celle d’un Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Après maintes discussions, c’est finalement l’ancien Premier Ministre Belge Herman Van Rompuy qui a été désigné Président du Conseil européen, et la britannique Catherine Ashton Haut Représentant pour les Affaires étrangères.
La nouvelle architecture de la gouvernance européenne se caractérise par son côté multicéphal. En effet, l’exécutif européen se trouve partagé entre le Président du Conseil européen, le Président de la Commission européenne, et le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères. A cela s’ajoute la présidence tournante de l’Union européenne qui restera opérationnelle en 2010, sans oublier les chefs d’Etat des trois puissances européennes influentes (Allemagne, France, Royaume-Uni) qui s’accrochent à leurs pouvoirs, et veulent jouer un rôle sur la scène internationale. Il faut noter à ce sujet l’activisme du Président français Nicolas Sarkozy, qui a joué un grand rôle dans la récente crise financière internationale, et qui prépare activement la Conférence de Copenhague sur le changement climatique. On peut se demander comment cette nouvelle architecture va fonctionner dans l’avenir. Le choix du belge Van Rompuy en tant que Président du Conseil européen, et de la britannique Catherine Ashton renseigne à ce sujet. Ce sont deux personnalités certes compétentes, mais peu charismatiques et qui ne peuvent prétendre gérer l’Europe et mener sa politique étrangère. D’ailleurs, le Président du parlement européen Jerzy Buzek a indiqué que le Président du Conseil européen « devrait être davantage un coordinateur qu’un Président au sens traditionnel du mot ». D’autres hauts responsables européens y voient « un simple Administrateur général ».
On peut craindre qu’une telle gouvernance ne puisse permettre à l’Europe de jouer un rôle important face aux autres puissances mondiales qui sont les Etats-Unis, la Chine et la Russie. D’autant plus qu’en matière d’affaires étrangères la règle de l’unanimité va continuer, à savoir qu’aucune décision importante ne pourra être prise sans l’accord des 27 membres de l’Union européenne. Il faut noter aussi la lourdeur du service diplomatique de l’Union européenne, composé de plus 10.000 fonctionnaires et 120 délégations à l’étranger, et le droit de regard du Parlement européen sur les affaires étrangères de l’Union. Une mesure urgente à prendre est la fusion, sous l’autorité de Catherine Ashton, du service d’action extérieure européen, dépendant actuellement de Javier Solana, diplomate en Chef de l’Union européenne, et Benita Ferrero-Waldner, commissaire aux relations extérieures.
Un autre aspect de la nouvelle gouvernance concerne la réactivation de la politique européenne de défense. En effet, l’Europe de la défense est en gestation. L’effort financier consacré à la défense européenne est jugé insuffisant par les experts : les budgets militaires des 27 pays de l’Union européenne ne constituent que 40% du budget de la défense des Etats-Unis. Certes, la politique européenne de sécurité et de défense a été approuvée en 2000 par le Traité de Nice, et l’objectif d’Helsinki est de parvenir à mobiliser une force européenne de 60.000 soldats. Mais dans l’état actuel des choses, il n’est pas possible de mobiliser hors de l’Union européenne plus de 10.000 hommes. Des progrès ont été réalisés en 2003 par l’accord sur la stratégie européenne de sécurité, et en 2007 par l’instauration d’un Centre de commandement européen. Mais le gros problème qui reste à résoudre est celui des relations de l’Union européenne avec l’OTAN. L’Union européenne doit elle se doter d’une force armée propre et souveraine, ou doit elle rester un auxiliaire de l’OTAN en matière de défense ?
Comme on le voit, les problèmes sont nombreux et la nouvelle gouvernance européenne complexe. On est encore loin de répondre à la question de l’ancien secrétaire d’Etat américain Henri Kissinger « Qui appeler quand on veut parler à l’Europe ? ».
CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI