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Modélisation systémique pour une cartographie des responsabilités : cas de l’industrie extractive

Par Abdellah MOUTTAQI(*)


La présente analyse se propose de modéliser le secteur minier afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle comme moteur d’une croissance inclusive, évitant les dérives liées à la notion de la malédiction des ressources ou du syndrome hollandais. Pour définir les contours d’un secteur minier que l’on pourrait qualifier de modèle, il faut bien en cerner les enjeux et les défis. Si la mondialisation des échanges commerciaux peut permettre d’approcher assez rapidement les enjeux, les équilibres fluctuants sur une longue période entre pays producteurs et pays consommateurs, aussi bien industrialisés qu’émergents, vont continuer à agir sur la nature des défis.

Définir les piliers d’un secteur minier modèle et en préciser les objectifs, passe au préalable par une bonne cartographie des différents intervenants et parties prenantes, qui vont impacter le fonctionnement de ce secteur. La complexité des relations et des interactions entre les différentes parties prenantes, avec fréquemment des intérêts divergents, place parfois le secteur minier dans une position d’équilibre relativement fragile. En effet, l’analyse systémique de l’état final du secteur extractif, révèle qu’il est la résultante de plusieurs facteurs :

• Facteurs économiques relatifs à l’évolution des marchés et à leur volatilité.

• Rôle de la communauté et des institutions internationales pour une gouvernance transparente du secteur, sur toute la chaine de valeurs et sa participation dans la réduction de la pauvreté.

• Facteurs variés dépendant des compagnies elles même comme les intérêts des différentes parties prenantes (employés, actionnaires et populations locales) ; la gestion de leurs orientations stratégiques, y compris le volet des ressources tant humaines que financières, l’organisation et la priorisation des investissements à faire et le maintien de la compétitivité de l’entreprise dans un contexte concurrentiel.

• Politiques gouvernementales comme les missions régaliennes qui couvrent la gouvernance dans sa dimension plurielle, à savoir le respect des lois minières, les réglementations environnementale, commerciale et fiscale. Ces dernières intègrent aussi l’instauration de quotas ou de nouvelles conditions pour l’exportation des produits miniers et la mise en place de nouvelles taxations. En relation aussi avec la politique gouvernementale se pose la question de la nationalisation des ressources qui a pris de l’ampleur ces dernières années et qui constitue, dans plusieurs cas, un risque pour les entreprises.

• Les revendications des populations locales pour réclamer un partage plus équitable des bénéfices, l’emploi, le respect de l’environnement et la gestion durable des ressources naturelles.

Un secteur minier modèle, tel qu’il résulterait de la convergence des lois, directives et orientations de la communauté internationale, institutions, gouvernements, société civile doit œuvrer pour une croissance durable, partagée et inclusive en se basant sur quatre piliers : la bonne gouvernance, l’intégration économique, le respect de l’environnement et du principe de durabilité et enfin, le respect des droits des populations. Ces quatre piliers se déclinent en sept axes :

• Contribution à la lutte contre la pauvreté et amélioration des indicateurs sociaux des populations.

• Respect des droits de l’homme de la nouvelle génération, référence faite à la Charte des Nations Unies et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; ainsi que le droit du travail, notamment celui des enfants.

• Respect de la réglementation et de l’arsenal juridique national et lutte contre toute activité illicite.

• Transparence et lutte contre la corruption pour garantir une répartition équitable des revenus entre gouvernements, compagnies et populations locales.

• Responsabilité de l’investissement sur toute la chaine de valeurs et intégration des questions liées aux risques environnementaux, sociaux et de gouvernance.

• Soutien et accompagnement pour l’émergence de nouveaux secteurs d’activité et contribution à la diversification économique.

• Intégration dans l’évaluation des effets et avantages environnementaux, sanitaires et sociaux des populations, et encouragement des parties prenantes pour :

o préserver les écosystèmes et toutes leurs richesses naturelles, en particulier les ressources hydriques, en encourageant le recours au retraitement des eaux et au dessalement si les conditions économiques le permettent.

o contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre en utilisant, quand c’est possible, des sources d’énergie renouvelable dans le mix énergétique.

Sur les quatre piliers décrits ci-dessus, ceux de l’intégration économique et du respect de l’environnement et du principe de durabilité méritent à mon avis une analyse plus détaillée en raison de certaines spécificités et nouvelles orientations :

• L’intégration économique dans le cas des mines métalliques est appréhendée par les ratios entre emplois directs (dépendant du core business des compagnies minières) et emplois indirects (sous-traitance liée à certaines activités d’appui tout en étant dans la chaine des valeurs du projet minier). Les ratios varient d’un pays à l’autre en fonction du niveau de maturité de l’industrie minière et celui du développement économique dans son ensemble. Dans les pays développés comme les USA ou le Canada, les ratios que j’ai pu obtenir de la part de certains opérateurs miniers varient entre 0,9 et 1, révélant un bon niveau d’intégration car pour chaque emploi direct correspond pratiquement un emploi indirect.

• Pour la protection de l’environnement et l’utilisation durable des ressources naturelles, il faut souligner que dans de nombreux pays, sous la pression de plus en plus soutenue des populations locales et l’adoption de règlementations environnementales de plus en plus rigoureuses, les compagnies minières ont intégré de manière plus visible les principes de durabilité et de soutenabilité au sein de leurs business modèles. Je propose sur ces aspects de revenir sur les ressources hydriques et énergétiques pour les quelles, l’accès a été pour la première fois, considéré par Ernst & Young comme un risque d’affaires du secteur minier en 2014.¸ La disponibilité des ressources hydriques constitue un facteur limitant pour l’extension de l’industrie extractive car de nombreux projets sont situés dans des zones très arides. Selon le groupe Veolia Environnement, « 70% des projets des six plus gros industriels miniers sont situés dans des zones où les ressources en eau sont rares et fait valoir que les mines et la métallurgie constituent le deuxième secteur industriel le plus consommateur d’eau ». Selon Bluefield Research, les coûts annuels du traitement de l’eau pour les compagnies minières (approvisionnement et traitement des eaux usées), vont subir une hausse de 85% durant la période 2014-2019 (9 milliards de dollars en 2014 et 17 milliards en 2019 ; avec plus de 15 milliards de dollars investis dans la construction d’unités de désalinisation et de pipelines pour l’alimentation des sites miniers en eau). Selon Ernst & Young (2014), les dépenses engagées en 2013 dans les infrastructures hydrauliques dans le monde par les compagnies minières se sont accrues de 250 % par rapport à 2009 pour atteindre la somme de 11,9 milliards de dollars.

Sur la question de l’énergie, l’industrie minière est un secteur énergivore qui utilise environ 10% de la production mondiale en énergie (Bardi, 2014) ; les sociétés estiment entre 20 et 30% les dépenses liées à l’énergie dans leurs coûts d’exploitation. Dans un contexte de cours défavorables, l’efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables sont considérés parmi les solutions pour la maîtrise des coûts. Cette transition vers les énergies vertes avec des impacts positifs sur l’environnement n’est cependant pas ancienne et reste aujourd’hui peu répandue. Citons par exemple le parc photovoltaïque de Codelco à Chuquicamata (la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du monde) et son investissement dans le solaire pour satisfaire autour de 80% de ses besoins en eau chaude qui sert au traitement de son minerai ; le parc solaire d’Anglo American et Xstrata dans la mine de cuivre de Collahuasi (la quatrième plus grande mine de cuivre du monde). Au Canada, le projet éolien dans la mine de diamant de Diavik de Rio Tinto et dans la mine Raglan de Glencore. En Australie, le parc photovoltaïque dans le secteur de la bauxite de Rio Tinto- Alcan ; l’éolien et le solaire en Amérique centrale et du Sud dans plusieurs mines de Goldcorp. De manière plus globale, l’approche chilienne dans ce cadre mérite d’être soulignée avec notamment la tenue à Santiago en mai 2015 de la première réunion entre le secteur minier et celui des énergies renouvelables avec la participation de leaders mondiaux.

Les exemples au Maroc concernent les groupes OCP et Managem. Ainsi, l’OCP continue de renforcer sa vision éco-responsable en s’appuyant sur la technologie du « Slurry Pipeline » pour le transport des phosphates entre le site minier de Khouribga et les unités de valorisation de Jorf Lasfar. Ce nouveau mode de transport permettra de réduire simultanément le cout du transport, la consommation d’eau et du fuel ainsi que les émissions de CO2. Le groupe Managem, dont 63% de son énergie est d’origine propre, maintient son engagement dans la voie de l’efficacité énergétique en fixant l’objectif d’économie de consommation d’énergie de 5 à 10% par an.

En conclusion, la lecture que je propose de faire de la présente analyse consiste à identifier les défis que devraient relever les Etats versus ceux des compagnies minières. Cette répartition prend à mon avis beaucoup d’importance pour les pays riches en ressources naturelles mais qui restent économiquement et socialement peu développés, comme c’est le cas de plusieurs pays africains ; dont les intérêts résident dans des relations équilibrées avec les multinationales.

Ainsi, la responsabilité de l’Etat – vue sous un angle systémique- consisterait à garantir les conditions pour le développement d’un secteur modèle, selon les caractéristiques arrêtées ci-dessus, privilégiant une gouvernance préventive et incitative qui stimule la croissance et favorise l’intégration économique.

Le niveau d’intégration de l’exploitation des mines métalliques au Maroc révèle d’importants écarts avec un ratio maximal de 0,74 chez les opérateurs les plus performants. L’ampleur de ces écarts est le reflet de grandes disparités entre les opérateurs. L’un des défis à relever serait donc de mettre en œuvre les conditions permettant de tirer certains opérateurs vers plus de performance et de développer un tissu de PME- PMI qui offre les services d’appui par sous-traitance.

Face au rôle ainsi défini pour les Etats, les entreprises devraient gérer leurs externalités de manière responsable envers leurs parties prenantes, selon des approches de durabilité et de droits.

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(*) Directeur du pôle exploration et technique de l’Office National des Hydrocarbures et des Mines, membre du Conseil Économique, Social et Environnemental et Président de l’Association Marocaine des Sciences de la Terre



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