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APRES LES ATTENTATS DE BRUXELLES :
L’EUROPE SERA-T-ELLE A LA HAUTEUR DES ENJEUX ?

Par Dominique MARTIN

Professeur honoraire des Universités, Lyon 2,
Vice Président de l’IMRI, chargé de la Commission scientifique

Une barbarie organisée

Après Paris, Tunis, le Mali et bien d’autres pays, les terroristes ont frappé à Bruxelles. 31 morts et 200 blessés, dans les récents attentats programmés en même temps à l’aéroport de Zaventem et dans une station de métro du centre ville, tout près du siège des Institutions européennes. Images de vitres éclatées et de plafonds écroulés, de panique, de blessés à terre, ballet des voitures de police, des ambulances, verrouillage rapide par la police et l’armée… Une ville désemparée, en état de choc, en état de guerre. Y- a-t-il un terreau spécifiquement belge ? Il est sans doute utile de pointer les négligences des services de sécurité (le gouvernement Turc n’avait-il pas expulsé l’un des terroristes, dont l’allégeance à l’Etat islamique était bien connue, relâché par mégarde ?). Mais les quartiers « sensibles », niches d’un communautarisme qu’on a laissé se développer, sont présents en France comme en Belgique. Plus intéressant peut-être est de noter que ces actions meurtrières sont désormais le résultat d’un maillage entre grand banditisme et terrorisme. Evidence aussi, de l’action en « réseau » (plutôt que provenant seulement d’initiatives purement individuelles). La réflexion sur les sources des ces actions terroristes montre que l’on a affaire sans doute à la conjonction de cellules dormantes, et de la prescription directe par les stratèges de l’EI : comme Al Qaida, l’action de Daech repose sur la complémentarité d’une centralisation stratégique et d’une décentralisation opérationnelle (en gros, les caractéristiques de l’entreprise mondialisée..). Le mode opératoire des réseaux est à peu de choses près, d’ailleurs, identique : propagande en direction de populations « cibles », recrutements au fil d’étapes en vertu d’une rigoureuse sélection, passages obligés en Syrie ou Irak, participation des nouveaux recrutés aux exactions comme techniques d’apprentissages, puis retours en Occident, ou en Afrique, pour mener des actions violentes, déclenchées finalement en fonction de considérations pragmatiques. Les attentats de Bruxelles sont-il une vengeance directe, après la capture de l’instigateur présumé des attentats de novembre 2015, à Paris ? C’est possible, mais cela importe finalement assez peu, sauf pour faire la lumière sur les motivations profonde des tueurs. La machine terroriste, bien huilée, a encore frappé. Le plan, à n’en pas douter, vise avant tout l’Europe, « ventre mou » de l’Occident, mais, finalement le monde entier, dans une logique transnationale.

Les enjeux de la lutte contre le terrorisme islamiste : une stratégie qui peine à s’élaborer

Au-delà de l’immense émotion, face au plus grand attentat de masse jamais commis en Belgique se pose la question de savoir si l’Europe sera à la hauteur des enjeux. Encore faut-il les définir, et aussi les hiérarchiser. Ce qui conduit à s’interroger, de fait, sur les capacités de l’Europe à riposter à la guerre que Daech a déclenché, depuis bientôt deux ans. Un premier enjeu est de type sécuritaire : protéger les populations et riposter de façon efficace aux menaces présentes et futures. C’est la préoccupation immédiate des gouvernements, ne serait-ce qu’en réponse à la crainte, à la colère et, de plus en plus, à la défiance des opinions publiques vis-à-vis de l’impuissance de l’action des Etats. Les paramètres sont nombreux : l’action policière et militaire, chaque jour renforcée. L’adaptation, aussi, des dispositifs législatifs, par exemple l’adoption du PNR européen, qui tarde à être votée au Parlement européen. Une politique efficace du renseignement, en amont. Tous les gouvernements en ont pris conscience : Manuel Valls, premier ministre de la France, n’a-t-il pas plaidé pour l’urgence d’un « plan européen de sécurité » ? Malheureusement, la France elle-même s’oppose à la création d’une Agence européenne qui centraliserait les informations. Le problème n’est pas seulement technique, il est politique : aucun pays ne veut renoncer, dans cette matière, à une prérogative qui tient de la souveraineté. Plus largement, fait cruellement défaut une politique européenne commune de défense, qui n’existe pas plus qu’une véritable politique étrangère européenne. La solution de repli est le renforcement de la protection des frontières : non seulement, ici, les « filtrages » restent difficiles, malgré –il est vrai- un substantiel progrès dans l’harmonisation du renseignement ; les terroristes savent manipuler des réseaux –le plus souvent familiaux ou de proximité – que les services de police ont du mal à pénétrer ; mais surtout, la question si brûlante des migrants venus de Syrie n’a reçu aucune solution vraiment concertée, du fait –il faut bien le souligner- de l’égoïsme de bien des pays en Europe.

Si l’Europe est tentée ainsi de « résister » à l’intérieur de ses frontières, se pose aussi la question des enjeux juridiques : l’Europe n’est pas prête à répondre au terrorisme par la politique américaine du « patriot act ». Il s’agit donc de renforcer l’arsenal des mesures préventives et répressives, sans toutefois attenter aux libertés fondamentales. Ce dilemme explique sans doute les atermoiements et les polémiques en ce qui concerne des sujets tels que la déchéance de nationalité ou la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Le problème n’est pas nouveau et date des années 30, quand les démocraties européennes ont dû faire face au fascisme et au nazisme : comment des démocraties peuvent- elles combattre le terrorisme sans sacrifier les valeurs et les lois républicaines ? La faiblesse mais aussi la grandeur des démocraties est de combattre le terrorisme, sans tomber dans les pièges tendus par les terroristes : Daech a très bien théorisé, particulièrement chez Abou Moussad Alsouni, dans son ouvrage de 2005, l’objectif qui consiste à forcer les démocraties à renforcer les dispositifs de répression, à stigmatiser les musulmans, et finalement à les dresser contre leurs pays d’adoption, préparant ainsi des guerres civiles en Occident.

On touche ici à un autre enjeu : celui de la lutte idéologique. On assiste certes à une indéniable prise de conscience du caractère mortifère de l’ambition du Califat, qui n’a sans doute pour égal que la « nécrophilie » d’Adolf Hitler, dont tout le programme de conquête mondiale s’acheva dans une guerre totale et finalement par la ruine du Reich lui-même. Mais ici aussi les positions divergent : les uns mettent l’accent sur l’urgence d’une « contre-propagande », d’actions de prévention de la contagion (par exemple dans les prisons) et de démarches de « déradicalisation » auprès de « repentis » ; les autres pensent plutôt que, même si la guerre des propagandes est nécessaire, elle est loin d’être un en jeu majeur ni une politique efficace. L’exemple de la seconde guerre mondiale est ici encore parlant : des stratèges du pentagone, à l’époque, ont fourbi des armes idéologiques face à la machine idéologique de Goebbels, théoricien auquel le second personnage de Daech, semble-t-il récemment tué à l’occasion de raids américains, n’avait rien à envier. Il reste que, même si on a trop longtemps sous estimé, par exemple, la machine de guerre d’imams salafistes, financés en Europe par l’Arabie Saoudite, le combat risque ici de manquer sa cible. Il est vain de croire que l’on va dissuader les futurs « radicalisés » par de sains arguments rationnels. Jean Pierre Filiu dit très justement qu’il s’agit moins de radicalisation que de « conversion » ; il ne faut pas trop se faire d’illusion sur la puissance préventive de la lutte idéologique.

Sans prétendre à l’exhaustivité, notre typologie devrait bien sûr inclure les enjeux politiques et diplomatiques. Ici se pose la question de l’action internationale, à laquelle –il faut le reconnaître- l’Europe est mal préparée : du fait de ses divisions politiques (par exemple sur l’opportunité de soutenir ou non la Russie, même si celle-ci fait le jeu du régime syrien). Du fait aussi d’une absence de rigueur diplomatique de l’Europe : bien des voix s’élèvent aujourd’hui pour pointer le rôle décisif qu’a joué, jusqu’à une récente période, l’Arabie saoudite en soutenant Daech. Ce qui pourrait justifier un retournement d’alliance, ou, tout au moins, une plus grande fermeté face aux infiltrations du terrorisme, sous couvert de pratiques religieuses dans certaines cités d’Europe. La question militaire n’est elle pas, finalement, la clef de voûte de l’édifice ? L’Europe n’est pas prête à s’engager directement sur le terrain. Mais ne convient-il pas, au-delà des beaux discours, d’inverser la hiérarchie des enjeux ? Pas de sécurité ni de libertés à terme sans qu’une guerre soit menée efficacement pour éradiquer le terrorisme : ce qui suppose un soutien plus décisif aux combattants sur le terrain, à défaut de l’engagement direct des puissances occidentales ; le renforcement de l’aide aux pays arabes ou aux combattants kurdes (qui payent un lourd tribut) ; en bref, une stratégie commandée par la primauté donnée aux impératifs d’une guerre, car il est douteux que l’on vienne à bout de Daech en y renonçant, ou en se contentant de frappes aériennes.

CHRONIQUES HEBDOMADAIRES DE l'IMRI

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